Rimbaldingue
Rimbaud,
la plupart du temps, fait le mort. Je veux parler de l’écrit Rimbaud, et de son
activité sur les vivants, ’crivants, les écrivants. Le personnage, le mythe qui
lui bouffe la laine, et le Verlaine !
est une sorte de crucifix poétique, Claudel aidant, que le quidam cloue chez lui
pour se faire pardonner sa veulerie quotidienne, ou pire : ses épanchements mondains, câlins, ultrafins.
Rimbaud s’en fout :
il dort. Les professeurs jettent des pelletées de commentaires sur le cercueil
de ses écrits, il ne bouge pas. À peine s’il a esquissé un sourire lorsqu’il a
entendu un micheton faire du gringue à la putain Rimbaud.
Je peux en témoigner :
je fais partie des taupes qui creusent autour de sa tombe. Aveugle, je n’y
comprends rien, me contentant de grignoter des bribes ici ou là. Il faut dire
qu’il ne nous aide pas, le monstre.
Ce qui l’a réveillé, c’est le centenaire, en 1991, de son enterrement. Qu’on
fête sa fin, il l’avait chanté ;
mais qu’un ministre fasse langue de tout bois à son sujet, ça l’a secoué. Il fumait pire
qu’un taupier, dans son caveau. Mes filles et moi nous sommes carapatées.
C’est ainsi que voyageant de galerie en tunnel, nous avons senti, trois ans
plus tard, l’écrit Rimbaud s’abattre sur un écrivant. Pourquoi lui ? Parce que le
vampire assoiffé de sens flaire la chair sensible, le cocktail de bonnes lectures
corsé de désir qui rend nerveux ?
Toujours est-il qu’il a lancé sur lui ce qu’il avait de plus sauvagement raffiné, d’une obscurité
éblouissante, aveuglante, indémêlable absolument : ses dites (par antiphrase ?) Illuminations.
Le Pillouër – c’est la victime – s’est retrouvé littéralement pris au piège de
la lettre, et des syllabes, mots, phrases, d’une chambre d’échos pleine de
miroirs se déplaçant à la vitesse d’une alouette. Le voilà donc qui cherche des
clés, pour s’en sortir. Il compte les « o » de « H » : « Toutes les monstruosités
violent les gestes atroces d’Hortense. Sa solitude…
érotique… »
Résultat : pas
H2O, non, 29 !
Et de se retrouver le bec dans « l’hydrogène
clarteux ! » où flotte le nom
latin de l’hortensia :
hydrangea.
Ce qui de la lettre ramène au sens, et ouvre la porte, illico, d’une autre scène,
avec au bout cette restriction aguicheuse : « J’ai
seul la clef de cette parade sauvage. »
Le périple labyrinthique et hasardeux ne fait que commencer. Le Pillouër va
parcourir, de l’intérieur, une quinzaine d’Illuminations. Et se
laisser ballotter par les cymbales syllabiques et contorsions sémantiques d’une
troupe d’écrits s’agitant autour de lui telles des bayadères ou autres « tordeuses de
hanches ».
Quelle que soit leur séduisante crudité, secondaire est le crédit à accorder
aux trouvailles qu’il fait à lever « un
à un les voiles ».
La vraie découverte de Le Pillouër n’est pas le goût de l’écrit Rimbaud pour la
chair – et plutôt côté cul que nichon –, mais que cet écrit (je n’ai pas dit
l’auteur) joue de son lecteur comme d’une marionnette, ou comme les dieux, chez
Sophocle, manipulent Œdipe. Ce n’est plus tant le poète, qui est en proie à une
fureur inspirée, que le lecteur. Antithésard s’emmêlant dans ses fils d’Ariane, se
transformant plus moderne en détective, Le Pillouër, comme Œdipe, voit son
enquête se retourner contre lui :
il a un accident de voiture, des souvenirs cruels ressurgissent, ses « amis s’en vont » !
Le résultat est épique, drôle, tragitonique. Un récit vigoureux, avec des
rebondissements et même du suspens. Comment va-t-il se sortir de cette aventure
dans laquelle il a été embringué par l’écrit le plus fascinant qui soit ? Le plus infâme et
fatal aussi, genre Lulu de Wedekind, qui menace son lecteur d’amour noir, et
destructeur. Combien d’exégètes ont sombré dans leurs gouffres herméneutiques ! Le Pillouër s’accroche
et surmonte parce qu’il a une arme discrète : l’humour, qui est retour sur soi. C’est un
écrivant. Il lutte à inventivité égale avec l’écrit Rimbaud.
contribution de Jacques Demarcq
trouver Hortense
Ulysse Fin de Siècle
160 p., 14 €
Poezibao propose également une traversée de ce livre en neuf épisodes, (par Florence Trocmé). Cet ensemble est disponible en fichier pdf à ouvrir ou télécharger, via le lien ci-dessous :