2008 est sans conteste l’année de L’Empire du Milieu. Son aura médiatique, tantôt plébiscitée tantôt critiquée, révèle d’ores et déjà un exergue nouveau sur l’échiquier mondial, et pas seulement sur le plan politico-économique. Ces dernières années, l’art contemporain chinois fait un retour en force. En proposant cette exposition, le Musée Maillol, dont la politique est déjà audacieuse (« Allemagne, les années noires », « Weegee »), s’est mué en grand VRP de ce retour fracassant, les œuvres contemporaines chinoises ayant par ailleurs atteint des sommets vertigineux sur le marché de l’art international. Mais cette audace est-elle un simple suivisme racoleur, surfant sur l’effet de mode, ou une démonstration globale du savoir-faire chinois que l’on sait mal reconnu par leurs propres autorités ?
Au moment de pénétrer dans l’exposition, la mise en bouche est radicale et saisissante : on découvre la sculpture désinvolte de Mao cosmonaute avec un doigt manquant. L’auteur, Sheng Qi, a réellement mutilé sa main en laissant « un souvenir » dans un pot de fleur ! Cela annonce le ton, rafraîchissant, de « China Gold ». La première salle est essentiellement dédiée aux arts picturaux, gigantesques peintures contemporaines et épreuves photographiques étonnantes à l’appui. Les styles sont multiples : on siège devant l’édulcoré « Portrait Chinois de Feng Zhengjie » (l’affiche de l’exposition), puis on se téléporte vers les compositions plus sombres de Zhang Dali, à la limite de la photogénie, qui tapisse ses portraits mornes du vocable meurtrier « AK-47 ». Puis on lorgne vers le Pop Politique acerbe de Wang Guangyi. Les photographies de Wang Qingsong et de Miao Xiaochun sont criantes de vérité et miroirs sans tain de la société ; l’une juxtapose de manière antagoniste un immeuble contemporain et un restaurant à la chinoise aux lumières aveuglantes, et l’autre s’amuse à tracer les anneaux de l’Olympisme sur un terrain de boue derrière des personnes scrutant l’horizon, comme pour dénoncer l’absurde espérance née des JO. De cette grande salle où vibrent les couleurs, comme pour souligner le caractère fugace de leurs œuvres, on avance vers une salle plus exiguë, ou règne l’art conceptuel, avec les œuvres incongrues de Li Qing (une table de ping-pong repeinte et parsemée de balles orange d’Ai Wei Wei une imbrication iconoclaste de deux cadres de vélos emboîtés ensemble) ou Ma Liuming avec ses bébés hypercéphales.
À l’étage, la salle suivante bénéficie d’un panorama plus polymorphe. En effet, les photos de Ciu Xiuwen jalonnent les murs rustiques du musée, projetant l’éclatante candeur angélique et frêle d’une jeune femme démultipliée à l’infini, comme pour former un régiment combattant l’ordre établi, ou celle de Jiang Zhi, avec un fulgurant arc-en-ciel au-dessus de la Cité Interdite comme note grandiloquente d’espoir et de renouveau. D’autres peintures témoignent du savoir-faire abrasif de l’abstraction psychédélique comme Yin Zhaoyang, ou encore de la mélancolie lyrique de Zhang Xiaogang avec son Camarade n°5 (les autres œuvres de cet artiste comme ses « Bloodlines » ne sont malheureusement pas exposées). Suivent, pour clore la séance, les différentes vidéos d’artistes chinois comme Cao Fei (« RMB City », cf. l’article Asiemute n°7), et notamment celles d’un autre artiste, où sont filmées en catimini des prostituées se repoudrant le nez et ajustant leur soutien-gorge dans les toilettes, comme pour briser le tabou de ce phénomène sociétal chinois.
Cette exposition, toutefois, cumule bon nombre de maladresses. En effet, la muséographie demeure hasardeuse : la linéarité entre toutes les salles reste tronquée, en mixant antichambres étroites et salles panoramiques. Les murs rustiques mettent mal en relief les œuvres. En outre, on peut dénoncer aussi le défaut d’exhaustivité de ce panel d’art contemporain chinois. En vérité, le modus operandi du choix des artistes est sujet à polémique, car la plupart de ceux choisis sont déjà les plus connus sur le marché de l’art chinois (Feng Zhengjie, Zhang Dali), tandis que beaucoup d’autres, qui ont véritablement roulé leur bosse dans le milieu, ne sont pas représentés. C’est le cas de Cai-Guo Qiang, Xu Bing ou Gu Wenda. Ainsi l’expo en elle-même souffre-t-elle du manque de performances in situ (seuls quelques clichés les présentent) et d’installations plastiques et vidéo (surtout lorsqu’on diffuse l’une après l’autre les vidéos sur un écran plasma au lieu de projections). Précisons également que d’autres artistes, qui illustrent à merveille leur génération, Yue Minjun par exemple, ont décliné l’offre, suite aux évènements survenus lors du passage de la flamme olympique à Paris.
L’appréhension quant au possible dévoiement de l’art contemporain chinois demeure donc vivace devant une sélection qui oublie quantité d’artistes, d’œuvres et surtout de précautions. On peut comprendre le manque d’espace pour accueillir toute cette nébuleuse, mais le concept de cette démonstration manque cruellement d’objectivité et de discernement. Au final, une exposition sympathique pour le néophyte qui souhaite se convertir à la mania chinoise, cependant l’amateur confirmé ferait bien d’épargner son porte-monnaie. Peut-être pour thésauriser à vie, afin de se procurer une œuvre ?
The-Slashed
Musée Maillol - Fondation Dina Vierny - Paris
Du 18 Juin 2008 au 13 Octobre 2008
www.museemaillol.com