Il arrive qu’une salade de pays donne des aigreurs d’estomac. Cette “salade de pays”, ce n’est pas la salata baladi, titre du savoureux - et dérangeant - film de Nadia Kamel (voir ce billet) mais un prétendu fleuron de la cuisine israélienne, la fameuse israeli salad dont un article de la version anglaise de Wikipedia nous rappelle qu’on l’appelle tout de même parfois “salade arabe” !
En effet, difficile de parler de “salade israélienne”, sauf à imaginer que personne n’ait jamais goûté de salade de concombres et de tomates dans les pays du pourtour sud-est de la Méditerranée avant la création d’Israël en 48 !
Comme s’en amuse l’auteur de Loubnan y loubnan qui parle ensuite très drôlement sur le “Rrroumous du Rrrrizbollah“, les frontières de la gastronomie recoupent rarement celles de la politique et la paternité des plats dits nationaux est loin d’être évidente (surtout depuis que le couscous est devenu le must des cantines hexagonales…) ! Pour autant, un des défenseurs du patrimoine culinaire oriental, Rudolf El Kareh, le chantre du “mezzé libanais“, n’a pas forcément tort (article en arabe) lorsqu’il incite les responsables arabes à protéger davantage leur patrimoine culinaire si l’on ne veut pas voir sur le marché étasunien, comme cela se serait produit en 1997, du Kefraya israélien (Château Kefraya étant un des grands crus de la Bekkaa… libanaise).
Assez naturellement tout de même, les voisins de l’Etat israélien sont un peu agacés de constater que le nouveau venu dans la région a tendance à s’accaparer tout ce qui est à sa portée. Maha Saqa (مها السقا), directrice du Centre du patrimoine palestinien, rappelle (article en arabe) ainsi que les robes portées par certaines hôtesses d’El Al ne sont pas israéliennes quoi qu’en dise la communication de la compagnie nationale de l’Etat hébreu, et que la tradition dans la région de broderies finement ouvragées sur les vêtements féminins, remarquée par les voyageurs européens en Orient au XIXe siècle remonte sans doute au temps des Cananéens, un peuple dont on affirme dans la Bible (une source digne de foi, c’est le cas de le dire !) que l’existence est antér
ieure à celle des Hébreux !D’autres se sont irrités de constater que l’Etat israélien avait choisi de représenter les produits de sa terre nationale, dans un jardin créé à Pékin à l’occasion des jeux Olympiques, par une fleur qu’on appelle de tout temps en Palestine la “corne de gazelle”, et même par l’olivier, ce qui ne manque pas d’audace de la part d’une puissance occupante dont les bulldozers ont arraché par milliers ce symbole de la longévité de la présence palestinienne, et de sa résistance…
En définitive, Bilal al-Shubaki (بلال الشوبكي), un politologue palestinien enseignant à Naplouse, tire (article en arabe) le meilleur constat possible de telles pratiques. Comme il le dit avec philosophie, cette manière de piller le patrimoine de celui dont on s’acharne à nier l’existence révèle précisément les faiblesses de la nation israélienne et son incapacité à se créer son propre imaginaire national.
Un autre cas “d’usurpation d’identité” mérite encore d’être cité (article en arabe), celui de l’universitaire israélienne Gannit Ancori, professeur d’histoire de l’art à l’Université hébraïque de Jérusalem. Pour son ouvrage, Palestinian Art (Reaktion Book, Londres 2006), elle a semble-t-il largement utilisé le travail de Kamal Boullata (كمال بلاطه), un artiste et historien de l’art palestinien, dont elle parle abondamment mais sans dire vraiment ce qu’elle lui doit. Une vive polémique s’en est ensuivie entre l’artiste et l’universitaire israélienne auteur du premier livre en anglais consacré à l’art palestinien ! Accusée de plagiat, celle-ci, aidée par un cabinet étasunien spécialisé, a été dédommagée du préjudice subi lors d’articles écrits à ce propos à hauteur de 30 000 dollars par la revue ArtBook et 75 000 par le Art Journal. Une assez bonne affaire en termes de droits d’auteur !
Par ailleurs, Al-Quds al-‘arabi signalait début septambre qu’on a retrouvé dans les locaux de l’ambassade de Palestine à Rabat une cinquantaine de films remontant aux années 1960 et 1970. De quoi restituer une partie de la mémoire de la résistance palestinienne emportée et/ou détruite par les forces armées israéliennes lors de leur “visite” aux archives de l’Institut d’études palestiniennes de Beyrouth, durant l’été 1982.
Illustration : Couverture de Mémoire de soie, costumes et parures de Palestine et de Jordanie (Paris, IMA-EDIFRA, 1988), le catalogue de l’exposition de la collection de Widad Kawar (un entretien avec elle) à l’Institut du monde arabe de Paris en 1988.