Euro-balles

Publié le 13 octobre 2008 par Jacques Chirac

Mes Chers Compatriotes,

T'en souvient'il ? de l'époque où nous avions des francs dans nos poches ? Il y avait un grand débat autour de la baguette à un franc. Et maintenant, le sombre voyou boulanger de mon quartier me la vend à 1.10 €, le rat. Je sais qu'il a toujours été rentable de vendre ses miches, mais un coefficient multiplicateur de 7.2 ça nous fait cher la tartine. Vous avez dit ? Mmmmm ? Que le passage à l'euro n'a pas généré d'augmentation des prix ? Que les boulangers, bistrotiers & C° ne se sont pas gavés à vos dépends ? You are sûrs, my potes ? Même quand ils vous rendent la monnaie en pièces de trois euros ? Bon, bon, bon... si you are sûrs...

Puisqu'on parle d'euro en ces temps de crise financière, je voudrais attirer votre attention sur un grave injustice : le franc nouveau - oeuvre mille fois bénie du Saint Président Pinay (de Saint Chamond, Loire, comme Alain Prost, mais qui n'accusait pas toujours le matériel) - avait son franc-parler personnel. On parlait en balles, sacs, briques et plaques : "t'as pas cent balles, file-moi dix sacs, ça m'a coûté vingt briques, y'en a pour dix plaques". Puis, une étrange timidité s'est emparée du langage monétaire quotidien et l'euro se trouve réduit à son simple nom. On cite des sommes en précisant toujours - après le chiffre - "euros" : les commerçants ne vous disent plus "dix cinquante", mais "dix euros cinquante", comme pour vous préciser qu'ils ne sont pas (complètement) neuneus et qu'ils ont bien compris que - maintenant - on parle 6.56 arrondi (et c'est vrai que vous pouvez toujours vous l'arrondir).

Alors, Mes Chers Compatriotes, je voudrais m'assurer qu'à cet égard j'ai votre soutien plein et entier pour relancer le bon vieux langage populo-monétaire, si fondamental. Convenons de nouveaux standards adaptés à l'essorage l'essort de vos porte-monnaie. Dorénavant, nous parlerons de :

Balle (de son vrai nom : euro-balle) : valeur 1€

Sac (en réalité : euro-sac) : valeur 10€

Brique ou plaque (en vrai : euro-brique ou euro-plaque) : valeur 1 000€.

Un petit test de contrôle : combien font 154 345 francs ? Mmmm ? Oui : 23 plaques, 52 sacs et 8 balles. Bravo à vous !

Je compte donc sur vous pour diffuser le plus largement possible ces nouveaux termes. Éduquez vos parents et amis et, dès que ces mots vous reviendront aux oreilles (que vous avez attentives, mais néanmoins velues, ne niez pas je le sais) nous saurons que nous avons livré au Monde béat une terminologie nouvelle issue de la sueur prolétarienne de nos front populaires.

Et là, on est peinards nous pourrons reposer nos têtes lasses sur l'oreiller de la sérénité car les suppôts du capitalisme américain conquérant ne viendront pas chercher des balles, des sacs, des plaques, des briques ou du brouzouf dans nos poches, car ils seront désorientés par l'inventivité de notre langage monétaire et s'effondreront en larmes dans les ruines de leur modèle économique obsolète.

Mais... je lis une question dans vos grands yeux clairs de notaire : "Et le brouzouf ? quéssé le brouzouf, quéssé ?". C'est simple. Il s'agit : 1) soit d'une monnaie indéfinie et donc universelle ; 2) soit d'argent tout simplement et en général.

Quelques exemples:

- T'as encore deux-trois brouzoufs dans ta poche, qu'on aille prendre un café ?

- Ton idée pourrait nous rapporter un max de brouzouf.

- C'est quoi la monnaie du Rwanda ? - Je crois que c'est le brouzouf.

- Tu peux l'avoir pour quelques dizaines de brouzoufs.

- Si j'avais du brouzouf...

- Je te paye en zlotis ou en brouzoufs ?

Si avec ça je ne décroche pas le Nobel d'Économie, c'est à désespérer du Syndrome de Stockholm.

Bien à vous,

Jacques