Contraception, avortement, pilule du lendemain et Plan B
Sylvain Sarrazin
(Agence Science-Presse) - L’Association nationale des organismes de régulation de la pharmacie a donné son feu vert pour la vente libre au Canada de la fameuse pilule du lendemain. Ce médicament contraceptif, aussi dénommé Plan B, pourra être obtenu sans prescription aucune. Une modification des comportements est-elle à attendre? Les avis divergent, d’autant plus que la décision n’est pas exécutoire pour les provinces du Québec et de Terre-Neuve, où la consultation en pharmacie reste une condition nécessaire à l’obtention de la pilule.
Après cette annonce, deux lignes forces se dessinent. Et elles semblent s’opposer. Les enjeux sociaux au cœur de cette flexion de la réglementation concernent aussi bien les utilisatrices que le système médical lui-même.
D’un côté, nous trouvons d’ardents défenseurs de la mise à disposition la plus totale du Plan B. « Je ne crois pas qu’il y ait de grands bouleversements des pratiques contraceptives, mais la mise en vente libre de cette pilule est absolument nécessaire », estime Francine Descarries, professeur de sociologie à l’UQAM et directrice universitaire de l’alliance de recherche IREF/Relais femmes. « Il est certain que tout ce qui permet aux femmes de mieux contrôler leur fécondité est une avancée pour leurs droits », précise-t-elle.
Un point de vue relayé par la Fédération du Québec pour la planification des naissances (FQPN) : « On doit retirer tous les obstacles qui peuvent empêcher les femmes de se prémunir, et toutes les études faites à ce jour montrent que les comportements ne changent pas pour autant », fait valoir Nathalie Parent, coordonnatrice de la fédération.
Dans ce cas, pourquoi deux provinces canadiennes font-elles bande à part?
L’Ordre des pharmaciens du Québec, consulté avant la prise de décision, a mis en valeur plusieurs arguments allant à l’encontre d’une vente totalement libre. Le plus solide d’entre eux demeure l’accessibilité économique, puisque la mise en rayons annulerait toute possibilité de remboursement.
L’institution juge aussi que le pharmacien doit pouvoir jouer un rôle d’éducateur social, et vérifier si les utilisatrices sont bien informées (par rapport aux maladies sexuellement transmissibles, par exemple). Et cela, sans sacrifier l’accessibilité du produit. « Nous avons fait en sorte que le pharmacien puisse prescrire la pilule du lendemain, car le Québec affichait en 2001 un taux d’avortement plus important qu’ailleurs au Canada », rappelle Manon Lambert, directrice générale de l’Ordre des pharmaciens, qui considère que les objectifs d’accessibilité ont été atteints.
En effet, la Régie de l’assurance maladie du Québec indique que le nombre de prescriptions pour le plan B augmente de façon exponentielle, passant de 2222 en 2001 à près de 35 000 sept ans plus tard.
Pourtant, la corrélation entre la vente libre de la pilule du lendemain et le taux d’avortement est loin d’être évidente. En Suède, où le Plan B est en vente libre depuis 2001, l’augmentation des avortements n’a pas été enrayée pour autant.
Des études menées dans ce pays montrent que si les Suédoises connaissent bien ce procédé, elles en savent peu sur les modalités de sa prise. Le médicament est tout de même jugé comme complément important aux autres méthodes de contraception.
« Une étude démontre que la moitié des femmes cherchant un appui dans le cadre d’un avortement auraient utilisé le Plan B si elles en avaient eu à disposition chez elles », indique Veronika Halvarsson, sociologue à l’Université de Stockholm.
De son côté, la FQPN invoque des réalités différentes selon les secteurs géographiques. Dans les endroits où le maillage social est plus restreint, un défaut de confidentialité pourrait rebuter certaines femmes. « C’est un obstacle : on sait que certaines pharmacies ne pratiquent pas la politique du bureau fermé », rapporte Mme Parent.
La responsabilité des utilisatrices reste aussi sujette à débat.
« Avec la vente libre, certaines auraient tendance à se dire “C’est pas grave, je prendrai la pilule du lendemain.” Ça déresponsabilise », témoigne Aurélie Bernier, qui a eu recours au Plan B à plusieurs reprises. Pourtant, dans son cas, elle affirme qu’elle n’utiliserait pas ce médicament plus fréquemment, en raison du dérèglement hormonal provoqué.
« Un quart des femmes rechignent à prendre le Plan B en raison des effets secondaires », confirme Mme Halvarsson.
Manon Lambert rappelle que ce médicament n’est pas un moyen de contraception usuel. Une utilisation répétée donne des doses hormonales qui peuvent diminuer l’efficacité du traitement à long terme.
La sociologue Francine Descarries, relayée par sa consœur suédoise, met l’accent sur le danger d’assimilation de la pilule du lendemain à une technique d’avortement. « Il ne faut pas qu’elles soient culpabilisées. Les femmes doivent demeurer responsables de leur fécondité », avance-t-elle.
PUBLICITÉ