Magazine

Flore ou la rage de vaincre - III- l'envolée, puissance de l'Eternel

Publié le 12 octobre 2008 par Aurore @aurore

Flore ou la rage de vaincre - III- l'envolée, puissance de l'Eternel

***

   Un château à Louchy-Montfand, près de Saint-Pourçain sur Sioule dans le Bourbonnais, faisait auberge de vacances durant tout l’été. L’histoire de cette commune remonte à bien des temps en arrière. C'était un lieu sacré, druidique à l'époque gallo-romaine, lieu fortifié quelques mois après la mort de Charlemagne. Pour se protéger du pillage et de la famine, les portes de ce domaine s'ouvrirent aux habitants. Ils demeurèrent en son sein durant une période de deux cent cinquante années environ, accompagnés de leurs animaux domestiques. Quelques preux chevaliers en quête du saint Graal vinrent se reposer en ces lieux. La France ensanglantée par les guerres de religions le détruisit. Depuis sa rénovation, le lieu-dit décida que ce beau logis accueillerait des enfants démunis afin de leur offrir quelques semaines de vacances, mais aussi des enfants dont les familles posséderaient un certain avantage financier.

 

   Les sœurs avaient du louer tout un bus rien que pour nous. Depuis plusieurs semaines, elles s’afférèrent aux bagages de chacune. Le mois de Juin était consacré dan le temps libre à l’essayage. C’était très drôle, très existant, très jovial, très intense. Nous étions toutes excitées et nos chères gardiennes avaient du mal à nous soutenir, cependant elles jouaient le jeu avec nous. Un maillot de bain trop grand, cela ne faisait rien, une petite retouche et il était à notre taille. La robe grise du dimanche laissait place à une belle robe si soyeuse qu’on aurait cru de la vraie soie et tellement jolie dans ses tons roses ou jaunes. Zina, qui était plus réserve que moi, restait éloignée de notre groupe, souvent je croisais ses yeux et j’avais l’impression qu’ils me fuyaient. Peut-être savait-elle plus de choses que moi sur papa et maman ? Où peut-être pensait-elle à notre frère ou à notre petite sœur ? Je n’arrivais jamais à lire dans son cœur. Moi, mes yeux étaient remplis de larmes du bonheur. Dans les siens, celles de tristesse en coulaient. Shorts, tee-shirts, sandalettes en plastiques remplissaient des valises entières. L’heure du départ enfin sonna, un vrai capharnaüm ! Notre arrivée fut chaleureusement fêtée par les jeunes filles venues des quatre coins du monde. Très vite, les monitrices répartirent les enfants dans des groupes dont chacun portait un nom comme « l'oiseau bleu » ou « soleil levant ». C'était très important car, à l'appel du matin, avant d'aller au réfectoire, au moment où l’énorme cloche retentissait, les files se regroupaient en chantant un joli garde à vous. Bernadette, Christine, Marie-Joséphine, Céline, Caroline, tout en jouant à chat-perché, s’exclamèrent en chœur.

   « Flore viens avec nous, allons ! Faisons avec Patricia et Bernadette le tour de ce magnifique endroit. Allez viens ! » Lança Caroline.

   Sans qu’elles aient besoin de me le répéter deux fois, je me joignais allégrement à ce groupe des gais lurons.

   « Vite, visitons ensemble, j’ai hâte de me tremper la tête dans cette pataugeoire, même si l’eau est peu profonde, je me tremperai quand même ! 

   - Ouh – là, Florence, tu nous la joue courageuse, aujourd’hui ! Qu’est-ce que l’on va passer de bonnes vacances, ici ! L’air est frais. Vous avez vu le parc comme il est immense ? Et ce château, on dirait celui d’un grand seigneur du moyen-âge ! 

   - Mais pas du tout, Sylvie, on dirait plutôt celui de Montfan. Ah ! Au fait, il parait que plus loin, à quelques kilomètres de nous se trouve également un vieux château. Il est tout en ruine. Parait- il qu’il est toujours habité. Il se nomme le château de Barbe-bleue, et vous savez, les filles, il semble même qu’il a enfermé plusieurs de ces femmes ici. 

   - N’importe quoi, ce que tu nous racontes là, Caroline !

   - Hum ! Moi je serai curieuse d’allez voir cela. Et si on...»

   « Mesdemoiselles, vous faites preuve d’obéissance, à ce que je voie, filez vite au réfectoire, avant que Sœur Brigitte, la directrice, vous punissent ! »

   Peu importait, nous verrions tout ceci plus tard. Pour l’instant, nous ne pensions qu’aux bonnes choses à déguster. Quel bonheur ! Pain chaud et confitures de fraises ou d’oranges ornaient les tables sur lesquelles nous attendaient de beaux bols blancs pleins de chocolat chaud. Les matinées s'écoulaient tranquillement, remplies par des activités diverses et variées. J’appréciais l’instant d’ouvrir le cahier de vacances, car il y avait toujours une histoire ou un conte qui me ravissait. Toutefois, j’éprouvais quelque chagrin lorsque mes amies écrivaient à leurs parents, car ma page, à moi, était toujours vide, n’ayant aucun parent ni adresse de destination. Pour cacher mon chagrin, je faisais semblant d’adresser un courrier avec une entête vide. L'après-midi, nous nous reposions dehors, allongés sur nos serviettes de bain, bien à l'abri de grands chênes. La sieste était aussi sacrée que la messe. Je murmurais à qui mieux mieux comme un petit poussin. Oh ! Je n’étais pas de celle à qui l’on donne une part au chat, tellement ma langue se déliait. Enfant très vive, je tournais la tête à plus d'une de mes cheftaines. Les arbres furent ma maison, je m’amusais à grimper au plus haut, sans me rendre réellement compte du danger encouru. Monter jusqu'à en atteindre la cime fut mon obsession! Je n'étais qu'une plume qui voyageait dans l’espace infini des cieux, mes yeux se confondaient d'admiration devant la forme des nuages, tant elle semblait laisser deviner des ombres qui parfois me paraissaient familières. Je m’amusais à découvrir, dans leurs formes, hommes, femmes ou animaux. Tout cela avec une imagination débordante, j’inventais des histoires de princesses ou d’ogre. Les monitrices me cherchaient partout en criant mon prénom. Je ne bougeais pas d'une once afin de ne point me montrer. J’étais si bien, si loin, si haut ! Dès qu’elles m’attrapaient, j’étais sévèrement punie, reléguée à éplucher des tonnes de pommes de terre, ou bien les bras sur la tête durant de longues minutes, des heures même, sans parler ni boire ni goûter, privée de baignade dans l'unique pataugeoire du pré. Malgré tout, je gardais le sourire aux lèvres, trouvant aucune importance à cela car j’avais passé un agréable moment dans ces hauteurs, tel un oiseau prenant son envol dans ce beau ciel bleu d’été.

   Qu’elles étaient délicieuses, ces heures libres durant lesquelles je construisais des cabanes avec des branches de bois recouvertes de feuilles ! Les pierres que je ramassais me servaient de fauteuil pour recevoir mes invitées coloniales. Jouer aux indiens ou à chat et à la souris semblait convenir à mes cordes sportives. Toutefois, le silence, la lecture et m'allonger dans l'herbe en respirant l’odeur des boutons-d’or ou des pâquerettes et en claironnant : je t'aime, un peu, beaucoup, passionnément, jusqu’à épuisement des pétales, furent mes alliées intimes dans mes heures de solitude. Mon équipe était joie de l'innocence. Gare aux imprudences, car nous avions droit alors au nettoyage complet des sols ou des escaliers, à genoux avec une brosse métallique trempée dans un seau d'eau javellisée. C’était une vraie corvée, aucune d’entre nous n’aimait l'accomplir. Laure, ma meilleure amie de ces instants, était brillante dans ses études, et parfaite dans les charades et les blagues. Elle possédait un savoir sur les animaux sauvages qui m’émerveillait. Elle me décrivait son chez elle avec tant d’amour que j’aurai bien voulu la suivre, moi, chez elle ! Elle côtoyait des zèbres, des girafes, des éléphants et des lions, me stipulant qu’ils étaient tous en semi-liberté. Ses parents s’occupaient de ce vaste domaine. Les visiteurs affluaient en été et c’était pour cela qu’elle, elle était ici. Comme elle aurait préférée participer à tous ces spectacles de nuit ! Comme elle aurait préférée regarder cette magie qui se filait au travers des étoiles ! Une nuit dans le dortoir, nous étions restées à discuter à voix basse pour ne pas déranger les copines. Elle me contait son bonheur, ses amis, son école et nous parlâmes de coquetterie, de vêtements et des garçons, mais ce dernier sujet, toujours en secret ! L'heure tardive, nous indiquait qu'il était temps de se coucher. Ni l'une ni l’autre ne trouvait le sommeil. Ce fut alors qu’elle me proposa de prendre une bouffée d'oxygène en se rapprochant de la fenêtre. « Regarde ! Je suis comme un hibou ou une chouette. Non je veux être une chauve-souris. » Une frayeur me gagna. Que s'était il passé? Où était-elle ? Comment regagner tranquillement mon lit ? Comment pouvais-je fermer les yeux et faire semblant de dormir ? J’avais sûrement dû rêver, car aucune autre jeune demoiselle ne s'était réveillée. Un mauvais rêve sans doute, oui c'était cela, j’en étais sûre, un mauvais rêve. J’entendais le bruit du silence, puis un crie, un son là tout près de moi, une résonnance en moi. Je criais de tout l’air de mes poumons, dans tous les dortoirs et les couloirs pour avertir de ce que j’avais vu. J’avais réveillée les grandes comme les petites. Je courais dans tous les sens. Je ne savais plus où. Je suffoquais. Le mal me gagnait. Je tremblais. J’étais affolée « Elle, elle est là ! En bas, gisante…Elle est montée sur le rebord de la fenêtre et elle a disparue »

 

   Le lendemain matin, notre dortoir fut tout chamboulé, brusquement, les monitrices tirèrent nos draps. Il était très tôt, le soleil n'avait toujours pas montré ses beaux rayons. Les petites filles avaient peine à se lever, car le sommeil les tiraillait encore. Il fallut faire vite, tout vite. Déjeuner vite. Descendre vite. L'agitation générale était à son comble, toutes étaient agitées après cette étrange action de la veille qui bousculait cette matinée estivale. Je compris, soudainement que je n’avais pas rêvé. Je savais maintenant que le songe était réalité. Ce fut le défilé des parents. Les unes après les autres, nos amies s'en allaient après avoir donné un dernier baiser. Nous, enfants de l'orphelinat, devions nous ranger deux par deux dans hangar à vélos, sans aucune possibilité de leur dire au revoir. Les larmes coulaient abonnement sur nos joues, comme si que l’on s’était donné le mot. Lorsqu'une des monitrices accompagnée de sœur Thérèse s'approcha de moi : «  Nous savons que tu étais avec elle, une des filles du dortoir vous a vu. ». Un froid parcourut ma peau, le rouge d'un coquelicot teintait mes joues et mes jambes se mirent à trembler, à flageoler. Gentiment, en me tendant de l'eau et un morceau de sucre, elles me firent asseoir sur un banc de couleur pin verni. « Tu ne dois rien dire, faire comme si tu n'avais rien vu. Ses parents nous avaient indiquée dans sa fiche de renseignement, qu'elle se levait la nuit, tournait en rond, puis retournait se coucher. En outre, elle parlait seule, comme si qu’elle voyait des anges. Elle était somnambule....» Un vent glacial prenait place, je ne pouvais croire en cette catastrophe. Comment avais-je pu lui parler, partager ses derniers moments? Tout cela était impossible et incroyable, un vrai cauchemar. Pourtant la vérité était bien là. J’essayai de me raisonner, mais en vain, je ne trouvai aucune solution à mon chagrin. Derrière le carreau, je vis apparaitre la famille de Laure, j’eu le désir de les embrasser, mais la grande porte resta fermée. Un flot de larmes envahissait mon visage, une rage contre la vie s’installa moi. C’en fut fini à jamais des vacances dans cette colonie.

   Tout était rangé et plié. L'instant de l'appel arrivait afin de reprendre la route. Avec tristesse nous montâmes dans le car qui nous reconduisait vers l'orphelinat. Ce fut sans doute l’année de ma jeunesse la plus terrifiante. La mort pour la première fois avait frappé à la porte. Mais, la vie continuait, et il fallait avancer.



 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Aurore 472 partages Voir son profil
Voir son blog