L’adolescence d’un chiard, c’est plus long qu’une grossesse, et bien plus délicat à gérer. Quand on est enceinte, on est consciente tout le temps du caractère éphémère de cette présence en soi. Quand on est, après la naissance, devenue la mère d’un enfant, on a le sentiment que c’est forever. Qu’il soit tout près, dans son berceau, puis à l’école, ou plus tard en virée chez des potes pour un weekend ou une semaine, un peu plus loin, il reste au bout du lien qu’on a tissé pour lui, à mi-chemin entre la corde d’alpiniste et le filet de sécurité sous le trapèze. Et puis un matin, on se rend compte qu’insensiblement, la corde s’est rongée, usée, délitée à mesure qu’elle devenait moins essentielle et que l’enfant prenait des hauteurs d’acrobate. Le filet de sécurité s’est peu à peu réduit, et matérialisé sous la forme d’une clé de la maison familiale rajoutée à l’anneau des siennes propres, d’un sac de pommes préparé la veille, d’un Twix glissé dans la poche du sac à dos, parce qu’on perd pas facilement le réflexe de la douceur. C’est quand même proche de l’incohérence, ce dédoublement de la mère, qui fait confiance à son chiard depuis toujours, depuis avant même qu’on lui pose sur le ventre ce petit bonhomme dont elle reconnaît et l’odeur et la voix entre mille, sans jamais se gourer, et cette angoisse sourde quand elle le perd de vue.
La première fois que j’ai laissé mon Chonchon à l’école, j’avais les larmes aux yeux. La première fois qu’il est parti en classe verte aussi. Faut dire qu’à chaque fois lui aussi pleurait des fontaines. Quand il est parti l’an dernier pour six mois faire l’Irlandais, il s’est juste retourné pour nous faire un coucou, à son père et à moi, et ce matin, la seule chose qui semblait vraiment le préoccuper, c’est qu’il n’a pas chez lui de cafetière.
Vous croyez que c’est raisonnable d’avoir comme ça un coup de blues parce que bêtement, on n’y a pas pensé samedi, à aller lui acheter une cafetière comme cadeau d’anni ? Ou bien ce creux inside, là, c’est juste la preuve qu’on a pas grandi autant que lui, et qu’on reste encore une toute petite mère qu’aurait besoin d’être sûre qu’il aura toujours besoin de revenir les fins de semaine faire provision de pommes, de conseils, de trucs à te demander en anglais, ou bien même juste de boire un café en trichant une belote ?
Heureusement, hein, j’ai un boulot de dingue à descendre aujourd’hui, et pis j’ai signé une permission spéciale de pas-de-cantine au plus jeune de mes roudoudous, on ira se faire un sandwich au parc en shootant dans les marrons. C’est fou comme les automnes ça vous rythme une vie bien plus que n’importe quoi d’autre, juste à cause des marrons, ou d’une valise bleue achetée pour partir à la maternité, et qu’on retrouve au bras du petit bout de garçon qu’on était allé pondre, et qui pourrait maintenant en porter quatre comme ça tellement qu’il est devenu grand.