Et comment contourne-t-on la souffrance de l'exister, sinon en cherchant à s'étourdir ? Quoi de plus utile pour s’étourdir qu'un bavardage continuel ?
Pourquoi cette étrange pratique consistant à laisser la télévision allumée en permanence? Pourquoi vouloir se noyer continuellement dans de la musique, sous un casque ?
La télévision et la musique entretiennent un bruit d'existence qui arrache à vous-même, vous tire au dehors et permet d’oublier. Quoi de plus effrayant que de retrouver le silence?
Ce serait se retrouver seul avec soi-même, sans un bruit pour vous dis-traire, sans une ek-stase d'images et de musiques qui vous jette là-bas dans un rêve coloré, vous arrache à vous-même dans une ambiance stimulante et fait tout oublier.
Nous avons peur de nous retrouver en silence, peur d’être seul, face à nous-même. Alors nous faisons tout pour meubler, assourdir, fuir dans le bruit. C’est ce qui rend souvent compte de ce
besoin d’une orgie d'images et de bruit, qui nous éloigne un temps de ce nœud crispé et oppressant qu’est devenue notre propre existence. Comment ne pas chercher une échappatoire devant cet effet
de la crispation de l'ego ?
Le silence est à lui-même son propre sens et notre propre question. Il est facile de condamner le silence, sous prétexte que le mutisme est un mal qu’il faut guérir, mais le mutisme n’est qu’un aspect du silence. Quoi que l’on en dise, le bruit de la mémoire ne pense pas, il répète et il se répète lui-même. Allons jusqu’au bout : le bruit de la mémoire, cela finit par rendre sourde l’intelligence !!
Le *Je* du témoin en est obscurci et la conscience est ballottée dans le tourbillon des pensées. Seule la fermeté du silence éveillé, lucide et serein, seul le laisser-être, donne à l'intelligence sa vraie clarté ; alors seulement la pensée cesse de s'égarer dans ses propres méandres et peut voir.
L'intelligence tire la puissance de son inspiration de la valeur du silence qui réside entre les mots et entre les pensées, ce qui n'a rien à voir avec l'auto-stimulation de l'ego qui se paye de mots et se gargarise de ses propres pensées. La parole n'est pas le bavardage.
C. Le silence et les états d’être
Le témoignage d’Emmanuelle Laborit est important, car il souligne à quel point la communication appelle le langage. C’est une naïveté de croire que la communication pourrait s’accomplir de manière complète avant tout langage.
Il faut cependant marquer une différence. A partir du moment où nous disposons du langage, si la communication prend sa vraie valeur, en même temps, le silence prend aussi une nouvelle valeur. Le silence d’avant le langage et le silence d’après l’acquisition du langage n’ont pas le même sens. Nous ne pouvons pas nous empêcher d’exprimer ce que nous sommes et nous le faisons de toute manière dans nos attitudes, dans nos comportements, dans l’expression silencieuse de notre corps.
Par définition, le silence est absence de bruit ou de discours. Le silence se comprend comme silence extérieur, par rapport à un environnement bruyant. Dans un hôpital on demande le silence par rapport au bruit des objets que l'on transporte, de la musique, mais aussi des paroles à trop haute voix qui dérangent la tranquillité des malades. Le bruit est compris alors comme nuisance.
Mais on peut aussi parler de silence intérieur, par opposition à un bruit contenu dans l'esprit. On peut avoir un vacarme constant de musique et pensées inutiles dans l'esprit, un verbiage ininterrompu qui est un gaspillage d'énergie qui rend la pensée confuse, tandis que notre être est aussi exprimé dans ce que nous sommes.
On peut distinguer le silence, sous son aspect sain et libérateur, dans la vie courante et dans la vie de l'esprit et le mutisme, qui est une forme de silence qui est un refus de l’expression, une incapacité ou une impossibilité d'expression.
Le mutisme suppose que le langage ait été acquis, mais qu’il y a blocage. Une personne qui n'a pas suffisamment de culture peut, dans une conversation où elle se sent dépassée, choisir de se retrancher dans le mutisme.
Cela ne veut pas dire qu’elle ne sache pas parler, qu’elle
n’ait pas de langage, ni qu’elle n’ait rien à dire. De même, dans des situations très crispées du domaine de la relation, on peut aussi se retrancher dans le mutisme, ce qui produit des non-dits
très évocateurs.
On étouffe, et si en apparence on ne dit rien, ce n'est pas parce que l'on à rien à dire. Le mutisme est chargé de sens, des reproches inavoués, des haines retenues, des tensions exacerbées, il se contient jusqu’au moment où dramatiquement, il va exploser dans une crise émotionnelle.