Depuis la fin de l'été, les titres des journaux britanniques le répétaient en boucle : le Royaume Uni n'échappera pas à la récession à la fin de l'année, mettant ainsi fin à 17 années de croissance ininterrompue [1]. Comme vous pouvez l'imaginer, le climat est des plus morose dans la City. Après les 5000 employés perdus de Lehman Brother près de Liverpool Street, le rachat par la Commerz de l'entité Londonienne de la Dresdner, et les milliers de jobs qui devraient faire les frais de la fusion HBOS-Lloyds TSB, on s'inquiète aussi du futur des banques d'investissement, au premier titre JP Morgan et Morgan Stanley. Et tout cela à cause de quoi ? Notamment du au mécanismes de croissance anglo-saxon (d'abord américain, mais aussi britannique) qui a basé l'essentiel de la croissance de ces dernières années sur le consommation. Celle ci étant alimentée par la hausse de l'immobilier soutenue par le crédit facile. Et lorsque la finance est en crise, c'est tout le pays, qui a construit sa prospérité en sabrant son industrie et développant ses services bancaires qui est soufrant.
On ne saute pas de joie, donc, sur Tower Bridge. Un ami me conseillait hier d'attendre quelques semaines/mois pour faire mes achats ou travaux car les faillites vont se multiplier et les survivants vont brader les prix. Cette atmosphère contraste de façon frappante avec les sirènes de Nicolas Baverez (qui a écrit "l’antilibéralisme est un fléau qui se trouve au principe du déclin et de la régression de la France" et qui est toujours - malheureusement - très écouté de l'Élysée) & co qui pronostiquaient la France qui tombe en 2007, au moment où se multipliaient les émissions de radio où livres vantant les mérites de la réussite anglaise. Ah qu'il semble loin le temps où l'herbe était si verte de ce coté ci de la Manche.
En France, le mot a été laché dans les journaux il y a quelques semaines : la France serait en récession. Le consommateur, frappé au porte monnaie, voyant sa cher chère banque lui refuser son crédit, s'en doutait. Seul le gouvernement garde les yeux fermés. Rappelons la définition du mot récession: deux trimestres consécutifs de variation négative du PIB. Deuxième trimestre = -0.4% ; troisième trimestre = -0.1%. Fort de ces chiffres, le gouvernement français refuse de parler de récession, mais de "croissance négative". Quand je vous disais qu'on nous prend pour des idiots. Il faut dire que question communication, l'exemple vient d'en haut. "J'ai été ministre du budget", a déclaré Nicolas Sarkozy, "je sais comment truquer un budget." (sic !) "Là on dit la vérité". Ah... Comme le rapporte Challenges de début octobre, qui tient ses informations d'un ancien ministre qui a gardé ses entrées à Bercy, les hypothèses qui ont fondées la mise en œuvre du budget 2009 correspondent bien aux travaux des prévisionnistes du ministère (inflation = 2% ; baril de pétrole = $100 ; euro à 1,45 dollars). Mais à l'arrivée, les ordinateurs de Bercy faisaient ressortir une prévision de croissance de 0,7% et un déficit public de 3,2% du PIB. Or Eric Woerth et Christine Lagarde ont communiqué les chiffres de 1% de croissance et 2,7% de déficit. J'ai peur en pensant à ce qu'ils auraient été s'ils n'avaient pas décidé de faire un budget sincère ! Peut être 5% de croissance et un excédent budgétaire, la fête au village et des cadeaux pour tout le monde ?
Parlons chiffres d'ailleurs : au début de son second mandat, Jacques Chirac promettait le retour à l'équilibre des finances publiques pour 2007. Son Premier ministre Dominique de Villepin recula la barre à 2010. En début de mandat, Nicolas Sarkozy parlait de 2012. Cette dernière date étant dangereuse (elle correspond à la prochaine campagne présidentielle, or de mémoire d'homme, on n'a jamais vu une réduction des déficits lors des grandes échéances électorales) elle est maintenant repoussée à 2013. D'ici là on aura oublié, et puis de toute façon ce sera un nouveau mandat, de nouvelles promesses (et peut être même un nouveau président, on peut rêver). Bref selon le fameux axiome : "les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent", il faut donc conclure de tout cela que lorsqu'un politicien annonce quelque chose, il y a deux hypothèses:
- il est idiot (il devrait savoir qu'il n'en fera rien)
- il vous prend pour un crétin.
Et cela m'inquiète. A force de déguiser les chiffres, de pratiquer la langue de bois, de mentir au citoyen, l'électeur va finir par préférer l'original à la copie. Quand l'homme de parti dit "responsable" (gloups) se croit supérieur et prend ses interlocuteurs pour des ignares, l'extrémiste a le mérite de jouer le jeu de la séduction, de faire savoir que franchement, si vous le rejoignez au moins vous savez pourquoi car c'est lui l'idiot. Et je ne peux que m'associer à 100% aux propos de Jean-Francois Kahn, invité de Parlons net ! (club de la presse d'Internet), pour qui réside là le plus grand danger (n'hésitez pas à regarder au moins les 3 premières minutes, cela donne le ton).
A continuer ainsi, j'en ai peur, si la présidentielle 2002 fut celle de Le Pen, celle de 2012 sera à coup sur celle de Besancenot. Et Nicolas Baverez pourra cette fois ci titrer enfin à juste titre sur la France qui tombe (quant à moi j'en ai marre de voter un coup sur deux uniquement pour faire barrage aux extrèmes !).
[1] Comme en France d'ailleurs, ce qui relativise la portée des politiques des deux pays sur la période.