Nous évoquions ici la suspension, le 26 septembre, d’un professeur de lettres d’un lycée de la Réunion au motif qu’il avait donné à lire une nouvelle de Jean-Luc Raharimanana, Le canapé, extraite de Rêves sous le linceuil (Le Serpent à plumes). Un texte jugé par un porte-parole du rectorat de ” tendancieux, polémique et provocateur “.
L’auteur a réagi dans une interview au Quotidien de la Réunion, publiée le 8 octobre.
Extrait :
” Des élèves de seconde, âgés en moyenne de quinze ans, sont-ils assez armés pour comprendre le message contenu par ce texte ?
L’école forme des enfants à comprendre le contenu des textes. L’âge ne signifie rien en soi. Il y a des enfants qui comprennent plus tôt que d’autres. Et je ne pense pas qu’ils soient aveugles, ces enfants à qui ce professeur a donné ce texte, ils savent que le Rwanda a existé, que la Shoah a eu lieu, il y a l’Irak, il y a l’Afghanistan, la Palestine… ils savent que le monde des adultes est scandaleux, que des crimes se perpétuent dans le monde et que beaucoup d’adultes ferment les yeux. La censure est une initiation pour être un homme sociable parfait et respectable. À quinze ans, je pense qu’on peut comprendre ce texte. Quel adolescent n’a pas eu ses lectures interdites ? J’ai lu J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian à treize ans. Le drame, c’est qu’on a vidé d’idées la tête de nos enfants. Leur donnons-nous assez de lectures, assez de livres ? Et ces parents qui se scandalisent pour tel ou tel livre, ne pouvaient-ils pas en profiter pour aborder le sujet avec leurs enfants ? Partager un peu de la lecture du monde, de la vie, avec leurs progénitures. Ont-ils assez lu ? Ouvrent-ils assez les yeux ? “
Par ailleurs, le site remue.net publie ce 11 octobre - ” contre tout esprit de censure ” - l’intégralité de la nouvelle Le canapé, ainsi qu’une analyse de cette affaire. Texte signé par Chantal Hibou Anglade, Dominique Dussidour, Jean-Marie Barnaud, Patrick Chatelier, Eric Pessan, Laurent Grisel.
Extrait :
” Il n’appartient pas à remue.net de déterminer si le professeur de français aujourd’hui suspendu dans l’académie de La Réunion pour avoir décidé de faire travailler ses élèves sur la nouvelle « Le canapé » de Jean-Luc Raharimanana a suffisamment accompagné ses élèves dans cette lecture qui les confronte à la violence indéniable du monde (…).
Étudier « Le canapé » était risqué. Nous savons qu’enseigner la littérature comporte des risques, puisqu’il s’agit toujours de conduire les élèves vers une parole vivante, qu’il s’agisse de littérature dite classique ou de la littérature contemporaine dont nous pensons qu’elle doit avoir toute sa place dans les programmes et les pratiques pédagogiques.
Ainsi, le professeur de français qui propose l’étude d’un texte, s’il décide de ne pas l’expurger (on peut très bien expurger Flaubert, il suffit de s’en tenir aux « morceaux choisis »), affronte les risques de l’interprétation et ceux, aussi, de l’incompréhension, du contresens. Quel texte et quel professeur sont en mesure de se préserver de l’échec que constitue une totale absence de réception littéraire ? “
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