J'en peux plus.
Allumer la télé devient un acte de courage et d'héroisme inoui. Quoi? Vous me croyez pas? Mais si. Replacez vous en situation deux secondes.
Vous êtes là, zappette à la main. Votre journée n'a pas été trop mauvaise. Au boulot, rien de spécial à signaler.Bref, une journée comme tant d'autres. Vous vous appretez à vous relaxer un peu devant la petite lucarne.
Et là, le danger, tapi derrière le sourire peu amène du journaliste, d'un coup surgit. Prenant une mine déconfite, il annonce le prochain sujet. Qui sera invariablement le même, en boucle, d'une chaine à l'autre, le pouvoir d'achat. On vous le démonte le sujet, à coups d'analyse sociologiques plus ou moins pertinentes, de gros plan larmoyants sur des familles désoeuvrées dans un magasin hard discount, de discussions type " café du commerce": " mais tout augmente mon bon monsieur".
Au premier sujet, vous vous dites: ben oui, c'est un peu vrai. Et puis à force, vous en faites une indigestion. Même si vous avez un salaire plutôt décent, vous commencez à culpabiliser, à vous demander pourquoi vous, vous n'êtes pas dans la mouise.
Parce que vous continuez à acheter des trucs qui vous font plaisir, parce que vous ne cherchez pas fébrilement les dernières piecettes qu'il vous semblait avoir dans vos poches pour payer votre baguette, parce que vous ne vous brossez pas les dents au jus de citron, ou que vous ne récuperez pas l'eau de vaisselle pour arroser les légumes que vous cultivez vous même ( bah oui, c'est moins cher) ou que vous ne vous levez pas à l'aube pour aller chercher les patates que les machines ont laissées dans les champs.
Vous êtes pris d'un doute. Soit le monde vire dans une paranoia démente, soit vous planez sur un nuage d'inconséquence. Vous vérifiez à la banque. Vos comptes ne sont pas dans le rouge. Vous ne faites pas de folie. Vous avez une vie normale. Vous avez des crédits, que vous remboursez. Sans difficultés.
Et pourtant... tout concourt à vous dire que vous êtes en fait assis sur un gouffre, qui ne demande qu'à vous engloutir.Vous commencez à pleurer , juste un peu là, de temps en temps. Puis vos coups de cafards deviennent récurrents. Vous commencez à collectionner les coupons de réductions. Vous ressortez votre vieille tente de camping de vos quinze ans ( on ne sait jamais si on perdait la maison), vous rapinez sur le sucre, sur le pain, sur le beurre.
Puis un jour, c'est le craquage. Vous allez consulter. Le médecin vous prescrit Prozac et repos, et vous ponctionne de 30 euros au passage. Mais ça ne va pas mieux.Vous consultez un psy. Séances hebdomadaires, traitement de choc, pour vous et votre carte bleue. Vous êtes anéantis. Vous allez en maison de convalescence. Ca bouffe vos économies. Vous êtes foutus.
Moralité: éteignez moi ce fichu téléviseur, là, tout de suite.
Moralité ( bis): si vous êtes encore jeune, devenez médecin, parce que je sais pas pourquoi, mais je vous prédis du boulot pour les années à venir.