Par ce beau samedi automnal lumineux (une vraie bénédiction !), le Cercle Aliénor, un des rendez-vous obligés du mileu poétique parisien, recevait le
poète-éditeur Jean-Luc Maxence, ainsi que son épouse et collaboratrice (qu'il aime à appeller son "égérie"), Danny-Marc.
Tandis que les multiples miroirs à l'élégante lumière mate et cuivrée se répondaient au premier étage de la Brasserie Lipp (ambiance déjà, en soi, magique !), Maurice Lestieux commença par
présenter la démarche de Jean-Luc Maxence en se référant à trois noms, pas des moindres : Jean Rousselot (pour qui la poésie était "une transmutation du réel" pour atteindre une "essence et une
pérennité"), André Breton (qui fut le principal promoteur de l'analogie entre la démarche de l'artiste et celle de l'alchimiste) et Serge Brindeau (qui assimilait l 'art poétique à la quête de
l'essentiel et du tout).
Jean-Luc Maxence, quant à lui, est, ainsi que le souligne Maurice Lestieux, "homme de pensée et d'écriture, poète auteur à ce jour de onze recueils qui débuta sous les encouragements d'Aragon
et de Seghers, psychanalyste d'obédience junguienne et éditeur de poésie depuis trente ans". Il insiste sur le côté diffuseur de poésie de ce revuiste qui, après avoir ceéé la revue "Présence et
regard" (une revue qui diffusa trente numéros), fonda, avec Danny-Marc, en 1991, en même temps que la maison d'édition "Le Nouvel Athanor" (dont la dénomination est révélatrice), la très belle et
très riche revue annuelle "Les Cahiers du Sens".
Le "Nouvel Athanor", nous précise-t-il au passage, se définit comme un "laboratoire", ce qui n'a rien d'étonnant si l'on tient compte du fait que J.L.Maxence et ses éditions ont sorti de
l'ombre une cinquantaine de poètes neufs qui, à présent comptent en poésie française.
Maurice Lestieux complète le portrait de Jean-Luc Maxence en nous apprenant (faits qui amènent à mieux cerner le personnage) qu'il est l'auteur d'une "Anthologie de la poésie mystique
contemporaine", d'une "Anthologie de la prière" aux éditions Renaissance et, aux Editions du Rocher, d' "Un pélerin d'Eros", roman philosophique portant sur l'homme du XXI ième siècle, partagé
entre le réel et le rêve.
En sus, il révèle un aspect nettement moins connu de l'éditeur-auteur : celui de l' "homme de présence et homme d'action", co-fondateur du Centre Diderot de prévention de la toxicomanie chez les
jeunes, qu'il dirigea pendant une vingtaine d'années.
Homme calme au regard aigü et pétillant que l'on sent,de suite, habité d'un feu intérieur maîtrisé, Jean-Luc Maxence entre alors pour de bon en scène, sur une question qui déboule de suite :
l'homme d'expérimentation, d'athanor (se)demande "le poète est-il un alchimiste ?"
Sa thèse, on l'aura compris, est que la poésie est, d'abord, quête, ascèse.
S'il cite en passant Francis Bacon, il revient vite aux temps modernes et à la figure déterminante d'André Breton qui "cherche l'or du temps" et
prône "mettons en marche nos alambics".
Fort de ses "trente ans d'itinéraire, de galère, de jouissance poétiques (depuis 1974)", Jean-Luc Maxence parle de ce fameux athanor ou encore four des alchimistes, four de "régénération" (du Grec
a-thanatos) qui l'obsède.
Outre Breton, il évoque d'autres poètes, qui lui furent proches et qu'il considère, également, comme de véritables membres de la "tribu" des alchimistes, des ésotéristes du verbe : Jacques
Arnold le merveilleux homme de "dialogue", Serge Brindeau qui ne fut pas moins que l' "initiateur", l'un de ses "guides", Jacques Simonomis et Paule Laborie.
Le but de chaque poète, donc, serait de trouver, par l' "itinéraire de création", "la pierre philisophale".
Convaincu, Jean-Luc Maxence affirme avec une "force tranquille" qui ne se dément jamais que, sans conteste, la poésie "revendique le Grand-oeuvre" sous la forme d' "une certaine perfection
d'expression". A l'instar de cette "métaphysique expérimentale" que cultivaient les anciens alchimistes, elle vise une transmutation des apparences, dont elle "déchire le langage par la parole, par
le verbe".
Que fait l'athanor ? Il "fusionne", dans son "laboratoire sacré".
Pour Jean-luc Maxence, aucune rencontre ne serait redevable au hasard ("Une rencontre me suggère que le spirituel et le sensible sont liés"), et on en revient aux rencontres qui, dans sa vie furent
aussi nombreuses qu'importantes : rencontres de poètes, à nouveau. Défilent des noms, fortement liés à des souvenirs : Jean Grosjean, Dominique Cervelot ("extraordianire poète" quoique peu connu),
Bruno Thomas, Maurice Couquiaud, Jacques Simonomis une fois de plus. D'eux, Jean-Luc Maxence dit qu'ils ont été ou sont "alchimistes par leur manière de polir et de repolir, de tailler et de
retailler la pierre brute des mots pour faire un poème unique et inimitable comme peut l'être un visage".
Mais, me direz-vous, en quoi consiste l'alchimie pour un poète ? Jean-Luc Maxence n'hésite pas : c'est la conscience bretonienne "de la vie poétique des choses", ou encore "le temps hors du
temps".
Jean-Luc Maxemce s'arrête un moment sur les "recherches surréalistes" pour en souligner la "remarquable analogie de but avec les recherches des
alchimistes" dont les écrits, nous assure-t-il, "ont une allure nettement pré-surréaliste". Cela l'amène, emporté par son élan en somme, à affirmer que "le surréalisme est le prolongement de
l'alchimie" (en référence au "je est un autre" de Rimbaud) et que "Nadja est le parvis du Grand-Oeuvre".
Bretonien passionné, il fait de cet auteur une figure d'alchimie centrale. Comment peut-il en être autrement quand on proclame "la beauté sera convulsivre ou ne sera pas" ?
Ansuite, J.L.Maxence aborde son expérence d'éditeur. Il témoigne : "être éditeur de poésie est une folie pure : l'athanor risque sans cesse d'éclater devant les yeux".
Il cite divers de ses confrères : Bruno Durocher, Chambelland, José Millas-Martin, Seghers et, de suite après, précise que l'édition n'est autre que "l'art intuitif de pressentir un talent" et, par
conséquent, qu'elle est, elle aussi, de l'ordre d'un "patient bain alchimique".
"Défendre au long cours les poètes pour qu'ils prennent leur envol". On le sent, aux yeux de Jean-Luc Maxence, c'est un dévouement, une sorte de sacerdoce qui le mobilise.
Alchimiste des alchimistes, il considère que sa tâche est d' "encourager les auteurs à écrire et à corriger", donc à poursuivre et à mener à bien leur propre démarche alchimique.
A titre d'illustration, J.L.Maxence déclame un poème de Jean Grosjean et l'accompagne aussitôt d'un compte-rendu de conversation téléphonique avec ce dernier, d'où il ressort qu'à quatre vingt
douze ans, Grosjaen déclarait "le poème, je le fais dans le noir, puis sur le papier [...] je le travaille et je le laisse reposer environ six mois
[...] je garde ce qui me frappe [...] Il faut savoir éliminer les déchets. Partout ils sont présents."
"Déchets", le mot est lancé, et Jean-Luc Maxence insiste sur lui.
On perçoit qu'il baigne dans une atmosphère de lumière intérieure, d'intériorité et d'intensité presque de nature mystique. On le devine possédé par la conviction de sa vision, de sa
passion. Ainsi, à nouveau emporté par son élan, il réitère, avec vigueur : "le poète est un forgeron sacré qui déchiffre les secrets de la création, qui fait jaillir le subtil du solide, de
l'épais, qui fait sortir de la nuit de l'inconscient (cf. la psychanalyse) et qui proclame l'Un dans le divers".
On aime les formules de Jean-Luc Maxence et on les ressent comme aussi lumineuses et aussi incisives que la belle journée ensoleillée d'automne qui nous entoure. Coïncidence ? Non, puisqu'il ne
saurait y avoir de place pour le hasard, et que, peu à peu, l'on se laisse insidieusement, subrepticement, gagner par la vision de l'éditeur-poète, qui nous "alchimise" à notre tour.
Comment ne pas se laisse séduire, entraîner, comment ne pas "entrer dans" cette façon qu'il a de nous charmer, de nous captiver, de nous convertir par la hauteur, l'envergure de son exigence ?
Inlassablemnt, il nous répète : "Persévéres [...] et tu trouveras". Il entretient l'espoir d'un jour, frôler "l'authentique coeur du monde" (selon la formule de Guénon).
Son enthousiasme a quelque chose régénérateur, de contagieux.
Vient, après cela, le moment des lectures de poèmes choisis, au cours desquelles J.L.Maxence et son acolyte Danny-Marc se relayent. De Maurice Couquiaud, l'on retiendra la pierre, devenue
"antimatière des nuages". De Jean-Noël Cordier (dont J.L.Maxence salue le "peu de mots" et le "beauxoup d'effet"), "Tu trouveras la pierre". Nous entrons, véritablement, dans une autre dimension.
De haut vol.
Immédiatement après, Jean-Luc Maxence nous reparle de son rôle d'éditeur. Non sans s'attarder sur le fait, déjà abordé, qu' "être éditeur et être poète, c'est une chose très compliquée".
En tant que poète, il trouve que "se faire lui-même republier serait indécent". Ce qui ne l'empêche pas, pour notre bonheur, de nous lire une de ses créations, "Prière universelle", laquelle nous
renvoie au "poème parfait" en ce qu'il est un but suprême.
En tant qu'éditeur, il revient, encore et toujours, sur les poètes qu'il a eu l'occasion de rencontrer, d'apprécier, d'encourager, de publier : de Guy Allix, il dit que c'était "un être
extraordinaire", torturé, un être qu'il a trouvé attachant au possible et donc pour lequel il s'est "beaucoup bagarré", car il frôlait "le risque d'explosion de l'athanor"; et de citer,
à l'appui, des vers tels que "Tu n'auras en toute fin que ce peu", "ce peu impossible à étreindre". Guy Allix a manifestement beaucoup marqué Jean-Luc Maxence qui, avec gravité, ajoute encore, de
cet auteur, les aphorismes : "La poésie est une oeuvre mortelle", "Le poème est impossible", "Laissons les poètes à leur ténébreux silence" et "Ne plus espérer que le peu".
Sans en ignorer la relative étrangeté (les deux poètes étant, en tant qu'êtres, à l'opposé l'un de l'autre), il fait le parallèle entre G.Allix et J.Grosjean, qui, en dépit de ce qui les sépare,
ont au moins le point commun de se rejoindre dans l'"alchimie" et dans son résultat suprême : le "si peu" dont il vient de parler.
Jean-Luc Maxence ne nous cache pas que "faire connaître d'authentiques poètes est chose très difficile". Cependant, il s'est dévoué, toute sa vie durant, à cette tâche ingrate, et il s'y dévoue
encore, avec la même foi et le même entrain.
J.L.Maxence apparaît comme un être profondément tourné vers les autres. Ne déclare-t-il pas : "la chance inouïe que j'ai eue c'est de commencer très tôt à éditer des poèmes, à côtoyer des poètes et
à écrire de la poésie".
Priorité aux autres, donc. A la tendresse et à l'intérêt - incontestables - qu'ils lui inspirent. Même si, au détour de l'exposé, J.L Maxence nous glisse que les "alchimistes sont des
nombriliques". On a peine à le croire quand on constate l'humilité de cet alchimiste-là, lequel paraît, sur son métier d'éditeur, presque intarrissable. J.L. Maxence définit la condition de
l'éditeur par deux phrases aussi catégoriques que brèves : "On se fait beaucoup d'ennemis" et "Il faut faire attention à ce que l'on publie".
Homme d'exigence, notre éditeur s'achemine vers la conclusion en s'efforçant de répondre à une question que pose Maurice Lestieux sur les rôles respectifs, dans sa vie, de la poésie et de la
psychanalyse.
Faisant allusion à son travaitl auprès du public de jeunes toxicomanes qu'il prenait en charge au Centre Diderot, il admet que "la poésie m'a aidé à ne pas désespérer des toxicomanes" et,
se référant cette fois à son rapport à la psychanalyse, il confie : "sous l'influence de la psychanalyse, je me mets de plus en plus en position de ne pas m'éditer".
"Chercher et se nourrir de persévérance", tel est le conseil final - tiré des oeuvres d'alchimistes - que nous délivre cet homme brillant, mais en même temps humain et simple. Un de ces
(rares) hommes qui ont pouvoir d'apporter, de diriger les regards vers le profond, le dense.
P.Laranco.