Dans Le Figaro, donc, Séguillon se demande si François Bayrou a encore un destin, et répond par l'affirmative. Une lectrice qui semble s'être intéressée à la campagne de Bayrou en 2007, reformule la critique (ou le regret...) que Bayrou est bien seul, et "avec qui veut il gouverner s'il trouvait le moyen d'être élu ?" Alors, arrêtons nous.
Parce qu'en fait, la stratégie de Bayrou est limpide : il sait que dans notre système, le seul qui peut changer les choses et faire bouger les lignes, c'est le président. Donc il vise la présidence. Simple, je vous dis.
Les gens se rendent compte petit à petit que dans le système actuel, les députés tiennent leur "légitimité" du président. La critique "Avec qui gouvernerez vous" ne tient donc pas quand on sait que les députés se rallieront à celui qui a le vrai pouvoir. Dans quatre années, la rengaine "Mais avec qui gouvernera t'il ?" n'aura plus grand effet. L'UMPS a su s'en servir pour effrayer les électeurs en 2007. Mais après la belle démonstration de Nicolas Sarkozy, les choses seront différentes : car on a bien vu comment, de Hervé Morin à Jack Lang en passant par Kouchner et Martin Hirsch, les hommes sont aisés à convaincre. Certains avaient peut être de bonnes raisons, sans doute - mais ils se sont ralliés au pouvoir. D'autres le feront aussi. C'est ça le pari de Bayrou.
Ensuite il fera ce qu'il a dit en 2007, ce qu'il dit encore, ce qui lui a couté si cher jusqu'à présent. Quelle garantie avons nous qu'il tiendra parole ? Celle de, hum, son amour-propre. Bayrou se prend volontiers pour un "modeste de Gaulle" ; le seul moyen pour lui d'éviter le ridicule s'il est élu un jour, c'est précisément de tenir parole. Sinon il ne sera rien de plus qu'un politicien qui a manoeuvré pour obtenir le pouvoir. Son orgueil le lui interdira. Il a bien raison.
François Bayrou a-t-il encore un destin ?
09/06/2008
C'est une erreur d'analyse que d'enterrer politiquement François Bayrou. C'est une faute, au regard de la démocratie, que de s'employer à éradiquer le MoDem du paysage politique.
Il est vrai qu'il est bien difficile d'imaginer que celui qui a rassemblé sur son nom près de 7 millions de suffrages au premier tour de la présidentielle, il y a un an, puisse encore avoir un destin tant le bénéfice qu'il tira de cette élection paraît aujourd'hui dilapidé et tant l'ancien candidat semble désormais isolé. Au gré des échéances électorales, François Bayrou a perdu la quasi-totalité de ses grands élus. La plupart l'ont quitté à l'occasion des élections législatives, préoccupés qu'ils étaient de conserver leurs sièges de député. D'autres l'ont abandonné à la veille des municipales, tel pour garder une présidence de conseil général, tel autre dans l'espoir d'obtenir un strapontin ministériel.
Le président du MoDem a sa part de responsabilité dans ce sinistre politique. Son premier faux pas fut de se départir d'une stricte neutralité entre les deux tours de l'élection présidentielle. À l'inverse, François Bayrou, trop occupé qu'il était en mars dernier à tenter la conquête de Pau, s'est montré incapable de maîtriser les alliances municipales passées par les militants du MoDem pour leur donner un minimum de cohérence. Il est certain enfin que la gouvernance autocratique du président du MoDem a découragé beaucoup de bonnes volontés.
Mais il est évident surtout que Nicolas Sarkozy n'a eu de cesse, depuis un an, qu'il n'asphyxie le MoDem, qu'il ne déstabilise les derniers soutiens de son président et élimine ce parti du champ politique. Jouant du bâton ou de la carotte selon les cas, menaçant celui-ci de lui faire perdre sa circonscription, appâtant celui-là par la promesse d'une entrée au gouvernement, pratiquant un débauchage systématique des élus de l'ancienne UDF, le chef de l'État s'est personnellement employé à isoler François Bayrou.
Cette tentative programmée de liquidation d'un courant politique qui s'est affirmé lors de la dernière présidentielle est un mauvais coup porté à la démocratie. Elle menace d'atrophier l'expression politique dans notre pays. Elle risque d'appauvrir l'offre d'alternance. Elle devrait donner à réfléchir à des centristes fraîchement ralliés et déjà condamnés à n'être que les supplétifs dociles et muets de l'UMP. Il n'est pas certain en outre qu'elle soit couronnée de succès. Elle pourrait même se retourner à terme contre ses auteurs.
François Bayrou, en effet, n'est pas dénué de sérieux atouts. En premier lieu, le personnage possède une force de caractère peu commune. Loin de l'affaiblir, l'épreuve et les difficultés paraissent fortifier plus encore sa détermination et son ambition. Par ailleurs, François Bayrou a la légitimité d'une campagne présidentielle couronnée par un score plus qu'honorable. Il peut surtout revendiquer la lucidité de celui qui, à l'inverse de ses deux compétiteurs, s'est refusé l'an passé à promettre la lune et a proposé un projet compatible avec l'état alarmant des finances publiques. François Bayrou avait prédit que les engagements inconsidérés de Nicolas Sarkozy conduiraient le pays à la catastrophe financière. Les faits lui ont malheureusement donné raison.
En outre, un bien pouvant sortir d'un mal, le MoDem, doté d'une force militante neuve, est désormais lesté de tous les notables qui stérilisaient sa capacité d'invention et d'innovation. Enfin, cette formation revendique une identité politique originale. Le MoDem se veut libéral et social. Il refuse à la fois l'État à tout faire des socialistes et la remise en cause par la droite d'un modèle social fondé sur la solidarité. Il est profondément européen et ne connaît sur le sujet ni la fracture qui traverse le PS ni les désaccords qui habitent l'UMP. Il prône un mode de scrutin qui permette à l'ensemble des composantes et sensibilités politiques d'être représentées au Parlement quand le PS et l'UMP souhaiteraient se partager à eux seuls les bancs de l'Assemblée. Il se proclame adversaire de tous les conservatismes, qu'ils soient de droite ou de gauche, mais se dit hostile au changement pour le changement et à la perte des valeurs qui font la spécificité d'une nation.
Alors que le Parti socialiste paraît impuissant à se doter d'un leader et d'un projet et que Nicolas Sarkozy semble avoir gâché, au terme de sa première année de présidence, une partie des chances qu'il avait de moderniser notre pays, François Bayrou possède un réel espace politique. Il ne valorisera toutefois ces atouts dans l'avenir qu'à plusieurs conditions.
Il lui faut d'abord changer de mode de gouvernance. Sa forte personnalité ne doit pas l'empêcher de pratiquer une direction plus collégiale de son mouvement. Il importe au contraire qu'il constitue autour de lui des équipes nouvelles pour structurer cette formation politique neuve. Il convient, en second lieu, qu'il définisse son projet de manière positive. Il ne suffit pas de dire que l'originalité du MoDem est de se vouloir libre et affranchi de toute attache à la droite « sarkozienne » comme à la gauche socialiste pour justifier son existence et lui donner une visibilité. Le parti de François Bayrou n'aura de crédibilité aux yeux de l'opinion que s'il affiche clairement l'ambition qui est la sienne, quand bien même relèverait-elle encore aujourd'hui de l'utopie : devenir à terme sur l'échiquier politique et au gré d'une élection présidentielle le grand parti démocrate moderne progressiste qui constituerait une réelle alternative à la droite républicaine. Un tel pari n'a quelque chance d'être gagné que s'il s'accompagne d'un travail d'analyse, de réflexion et de proposition intense associant militants et intellectuels. Cela suppose chez François Bayrou la volonté nouvelle d'attirer à lui et de faire travailler avec lui des hommes et des femmes ayant, chacun dans leur domaine, une pensée originale.
D'ici à 2012, le président du MoDem dispose de deux échéances électorales pour roder son jeune parti, les élections au Parlement européen en 2009 puis les élections régionales. Le mode de scrutin proportionnel des européennes peut lui être relativement favorable, d'autant que la thématique européenne elle-même lui est naturelle.
Il est une vieille loi en politique : de même que la roche Tarpéienne est proche du Capitole, de même un acteur politique peut toujours revenir au sommet aussi longtemps qu'il demeure fidèle à de fortes convictions. François Mitterrand qui, quelques mois avant sa mort, confiait son admiration pour François Bayrou, fut un exemple probant de cette capacité de rebond durant son existence politique.
(c) Pierre-Luc Séguillon, Le Figaro