Dans une magnanerie laissée à l’abandon par ses propriétaires, non loin de Toulouse.
Ding Dong !
« – Oui ?
–Bonjour, excusez-moi de vous déranger, mais je n’ai pas l’habitude de la Côte Verasoile, ça fait 8 heures que je marche et malgré ma boussole et ma carte IGN, je pense que je suis perdu… Je suis épuisé, pouvez-vous m’offrir l’hospitalité pour la nuit ?
–Ma foi, entrez ! D’où venez-vous ?
–Je suis une blatte de Cafardonie.
–Ah oui en effet ce n’est pas à côté ! Et c’est joli là-bas ? Le cadre de vie est agréable ?
–Oui, enfin bon… On y trouve un peu trop de puceronoques à mon goût, mais sinon ça va… Et le cadre de vie est idyllique, c’est pour cela qu’ils nous envahissent bien sûr.
–Vous voulez dire des puceronois ? De la famille des pucerons ?
–Oui, enfin si vous voulez… enfin c’est la même chose… Vous voyez de quoi je veux parler, de ceux qui dévorent nos provisions et appauvrissent nos murs.
–Heu… C’est un peu péjoratif et discourtois de les traiter de puceronoques, non ?
–Et sinon ? Qu’est-ce que vous avez à boire ? Non parce que moi je meurs de soif, je n’ai pas bu depuis plusieurs heures déjà.
–Je n’ai que de l’eau à vous proposer, ça vous ira ?
–Ah… et chez vous qu’est-ce qu’on mange ?
–Et bien, nous sommes des Bombyx Mori, donc nous consommons principalement des feuilles de mûrier.
–Beurk ! C’est à dire que nous les blattes, nous préférons l’alimentation carnée et le lait… Vous n’avez pas plutôt du lait concentré sucré ?
–Ah non, nous ne nous attendions pas à vous accueillir, donc nous n'avons pas prévu… »
A table.
« – Et qu’est-ce que vous faites en Cafardonie ?
–De la défisque.
–Pardon… de la quoi ?
–De la défiscalisation : une blatte souhaite acquérir un logement en résidence, de préférence avec du monde car nous vivons en groupe, bien fissuré dans les murs et bien sombre, comme on les aime chez nous, et bien nous la conseillons pour qu’elle se fasse un maximum d’argent dessus ! Et vous, vous faites quoi ?
–Nous sommes des Bombyx Nori, donc je suis brodeuse, je produis de la soie et je la brode.
–Ah, et ça rapporte ?
–Non, rien… juste le bonheur d’exercer ma passion… Je vous sers une autre feuille de mûrier ?
–Non merci, ça n’est pas ce que je préfère… Bref, vous ne touchez pas un caramel et vous êtes une main devant une main derrière si je comprends bien ! Comme les mouchabs !
–Vous voulez parler des mouches ?
–Voui, enfin les mouchégnoules si vous préférez !
–Ah non je ne préfère pas non…Un café ?
–Oui merci, avec un max de lait dedans ! »
Une pause…
« – Et là qu’est-ce que vous faites ?
–Et bien je commence à l’instant un nouvel ouvrage sur une toile de lin et je brode…
–Ah oui et qu’est-ce que vous brodez ?
–Oh… des motifs abstraits sans importance…
–Ça a l’air compliqué comme technique !
–Non non, juste quelques points traditionnels de base : du plumetis, du point de chausson, du point de nœud, de tige, de chaînette…
–Ah ? Notez d'un sens, je m’en fiche de ce que vous faites… Où est-ce que je me pose pour dormir ?
–J’ai une fissure dans les toilettes si vous le souhaitez, elle n’est pas très large mais très bien située près de la porte.
–Parfait ! J’aurais préféré une fissure dans la cuisine, mais pour une nuit je ne vais pas faire le difficile ! »
Une semaine plus tard.
« – Allô les urgences ? Ici mademoiselle Bombe X… Oui… Je vous signale le décès chez moi d’un cafard ! … Oui, il était là depuis une semaine… S’il a été en contact avec de la terre à diatomées ? Oui pourquoi ? J’en répands régulièrement dans mes toilettes… Ah ? Ça les tue ? … Comment ? Vous ne vous occupez pas de ses restes, c’est à ma charge ? Bon très bien, je vais faire au mieux… Oui, au revoir ! »
Dans une allée de pierres tombales.
« – Il est magnifique cet enterrement mademoiselle Bombe X, le cimetière de Terre Cabade est décidément le plus beau… Vous avez vraiment soigné le moindre détail… Et ce morceau de lin brodé posé sur les restes de ce pauvre cancrelat, qu’est-ce que c’est ?
–Oh ! Ce n’est qu’un modeste linceul, brodé ces jours derniers de mes blanches mains… »