De la proximité des rivages de la Manche à la proximité des rivages de la Mer Noire, la distance n’est pas si grande. Elle est même, si j’en juge par les facilités d’entrée, quasi inexistante. Les files d’attente pour la vérification des visas, puis le regard inquisiteur sur les passeports, ont fait place à la fluidité du sourire et à des policiers qui souhaitent la bienvenue dans la langue du visiteur. Sauf pour les Italiens, mais on peut comprendre pourquoi.
Et pourtant, venu des nuits froides du Luxembourg, je me trouve soudain plongé dans une sorte de fournaise qui me procure un sentiment d’exotisme.
Envolée la Bucarest gelée et recouverte de neige que j’avais découverte en janvier. Les rues tremblent sous la chaleur, comme si le sol des rues s’évaporait lentement et des tentes sont disposées aux angles des principales avenues, remplies de bouteilles d’eau minérale, pour accueillir les personnes incommodées. Chacun semble attendre l’air du soir, parfois un peu plus mobile, surtout dans la proximité des lacs et dans les allées des parcs où les amoureux s’enlacent dans une chaleur qui oublie la canicule ambiante.
Le temps a été bien long entre hiver rude et tension estivale. Un temps où les récits d’autres horizons se sont accumulés sans faire disparaître pour autant la mémoire des pas qui s’enfoncent dans un cordon gris - blanc, une masse noirâtre faite des neiges pures des sommets, souillées par le limon des industries.
Je suis là pour une quinzaine de jours, comme dans un havre de paix au plus près du bonheur. Je suis là comme dans un observatoire, muni de quelques livres, dans le calme d’un fauteuil, à proximité d’un marché de producteurs qui fait ma joie et dans une ville dont le maire vient de comprendre que les marchés temporaires ne sont pas seulement un caprice parisien.
Je suis là alors que l’offre culturelle de la ville s’est éteinte pour quelques semaines et que les colonnes de sapte seri, le petit magazine qui regroupe toutes les informations sur les sorties possibles sont désespérément vides.Et je crois que le rythme solaire aidant, je vais prendre le temps d’écrire, en restant attentif à un monde qui continue de tourner dans les images des lucarnes des chaînes de télévision que je parcours en boucle comme je ne le fais pas au Luxembourg où je ne me décide pas à installer cette fenêtre que l’on dit magique.
Dans deux jours, les fêtes mariales vont vider la ville et emplir les monastères. Je me souviendrai des foules qui tournaient autour de la paroi des églises, s’entassaient dans la fumée des encensoirs, ou révélaient leurs fautes aux prêtres dispersés. Jeunes filles et jeunes hommes aux chemises brodées et plissées, images votives et bannières portées à bout de bras. Convergences de groupes plutôt que défilés.
C’était il y a douze années dans le Nord du Pays, et depuis, cette inauguration de la découverte d’un pays fabuleux comme une mine emplie de trésors, s’est poursuivie par étapes et par initiations attentives.
Mais cette année, je sens bien que mes découvertes nouvelles seront plus livresques, comme si j’étais une sorte d’enfant adopté qui reste sagement à la maison.
Et je compare deux images à quelques années de distance, deux images devant ma fenêtre. La vie s’est furieusement accélérée, beaucoup plus que partout ailleurs et sans aucune comparaison avec l’intangible Luxembourg.
Je suis, je le vois bien, dans un quartier favorisé, à proximité des ambassades et la transformation démontre que l’argent est venu jouer son rôle.
Mais je ne veux pas trop dire aujourd’hui sur une situation contrastée. Je suis juste bien.
Et deux mois plus tard, dans le moment de stress qui se prolonge au-delà de l’indicible, j’ouvre le site de la télévision roumaine sur mon ordinateur. On y célèbre le lancement de TVR3 et une vidéo nous est offerte « O dată-n viaţă ». Un orchestre de Chisinau me donne l’envie de me rejoindre moi-même dans la réalité de l’été que j’ai laissé à regrets et de survivre dans l’imagination de l’automne, en restant tendu vers les moments de joie.