Strasbourg: Contre la peine de mort

Publié le 10 octobre 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

Conseil de l'Europe et Union européenne lancent un appel contre « ce déni suprême des droits de l'Homme »


« La peine de mort viole le fondement même des droits de l' Homme »
Par Bernard Kouchner & Carl Bild

Aujourd'hui, en cette Journée européenne contre la peine de mort, nous unissons nos forces pour nous élever contre ce qui constitue le déni suprême, irréversible, des droits de l'homme et un châtiment aussi cruel qu'inhumain qui n'a pas sa place à l'époque moderne.

Nous ne pouvons rester silencieux lorsque des milliers de personnes continuent d'être exécutées ou condamnées à mort chaque année. Nous ne pouvons rester silencieux lorsque nous assistons à la retransmission de pendaisons publiques en Iran, lorsque les journaux nous informent de la décapitation d'un jeune délinquant en Arabie Saoudite ou de l'exécution d'un handicapé mental au Texas.
Nous sommes gravement préoccupés par le grand nombre d'exécutions en Chine et par l'accroissement sensible du nombre d'exécutions au Japon. Nous sommes profondément déçus de voir un pays comme le Liberia réintroduire la peine de mort et nous demandons instamment à la Biélorussie de se rallier au consensus européen contre le recours à la peine capitale.

La peine de mort viole le fondement même des droits de l'homme, en particulier le droit à la vie. C'est la peine suprême, cruelle, inhumaine et dégradante qui s'accompagne souvent de douleurs insoutenables. Elle est irréversible et les erreurs sont irréparables. Tous les systèmes judiciaires commettent des erreurs et, tant que la peine de mort persistera, des innocents seront exécutés. La peine de mort est symptomatique d'une culture de la violence qu'elle favorise à son tour. Elle n'y apporte pas de solution comme il est souvent prétendu et n'a pas plus que d'autres sanctions, un effet dissuasif. La peine de mort n'a tout simplement pas sa place dans un système moderne de justice pénale.
L'Europe est aux avant-postes des efforts engagés pour abolir la peine de mort. Il n'en a naturellement pas toujours été ainsi. Au Moyen-Age et aux débuts des temps modernes, avant le développement de systèmes pénitentiaires modernes, la peine de mort était en Europe une sanction appliquée pour toutes sortes de crimes. Mais avec l'émergence des Etats-nations et de l'idée de citoyenneté, la justice a de plus en plus été associée à l'égalité, l'universalité et la dignité. Condition indispensable aujourd'hui pour adhérer à l'UE, l'abolition de la peine de mort est une question sur laquelle les Etats membres du Conseil de l'Europe ont également réussi à adopter une position commune ferme. Aucune exécution n'a eu lieu sur le territoire des Etats membres de l'Organisation depuis 1997.
La bonne nouvelle est que l'on observe une tendance constante à l'abolition de la peine capitale, comme l'a souligné le dernier rapport du Secrétaire général des Nations unies. Des progrès spectaculaires ont été accomplis au cours des dernières décennies et, à ce jour, plus des deux tiers de tous les Etats ont aboli la peine de mort dans leur législation ou dans la pratique. Depuis le 3ème Congrès mondial contre la peine de mort qui s'est déroulé à Paris en février 2007, l'Albanie, les Iles Cook, le Rwanda, l'Ouzbékistan et l'Argentine ont aboli la peine capitale. Le recours au châtiment suprême se raréfie également dans les pays non-abolitionnistes. Cette évolution mondiale bénéficie du soutien des différents tribunaux internationaux, notamment la CPI, qui, même s'ils sont confrontés aux crimes les plus atroces, ne peuvent prononcer la peine de mort.
Il convient néanmoins de se garder de tout excès d'optimisme. L'Union européenne et le Conseil de l'Europe ont intensifié leurs efforts contre la peine de mort dans les instances internationales comme à l'ONU où, l'an passé, l'Assemblée générale, lors d'un vote historique, obtenu avec un appui dépassant le cadre régional, a adopté une résolution appelant à l'instauration d'un moratoire sur les exécutions en vue d'abolir à terme la peine de mort. Cette année, l'Assemblée générale assurera le suivi de cette initiative, par l'intermédiaire des recommandations du Secrétaire général.

C'est également un thème que la présidence du Conseil de l'Europe mettra en avant aux Nations unies dans le cadre de la Coopération entre les Nations unies et le Conseil de l'Europe. En cette Journée européenne contre la peine de mort, nous demandons instamment aux gouvernements de tous les pays qui n'ont toujours pas aboli la peine de mort de faire preuve de courage politique et de mettre tout en œuvre pour l'abolir en toutes circonstances.

Dans un premier temps, nous invitons les gouvernements à introduire un moratoire avec effet immédiat. Nous insistons également sur le rôle courageux et décisif qu'ont joué les défenseurs des droits de l'homme dans la bataille pour l'abolition de cette violation odieuse des droits de l'homme et nous encourageons la société civile à rester mobilisée. Ensemble, nous devons renforcer cette tendance profondément enracinée vers une abolition universelle. Ensemble, notre action peut être décisive.
Bernard Kouchner,
Ministre français des Affaires étrangères et européennes, Président en exercice du Conseil de l'union européenne
Carl Bildt,
Ministre suédois des Affaires étrangères , Président en exercice du Comité des ministres du Conseil de l'Europe.
(ce texte est publié dans de nombreux journaux et médias à l'occasion de la deuxième Journée européenne contre la peine de mort)


Le colloque de Strasbourg

Robert Badinter, Terry  Davis et Bianca Jagger


Grâce au Conseil de l'Europe qui a suivi les exhortations actives de Robert Badinter et qui a su, avec le soutien actif d'ONG dynamiques, mobiliser l'ONU les deux-tiers des pays ont aboli la peine de mort par législation ou dans la pratique. Mais au moins 1.252 personnes ont été exécutées en 2007 dans 24 pays et au moins 3.347 condamnées à la peine capitale. Et la tentation du recours au « châtiment suprême » réapparaît, partout ou presque, dès que l'émotion tue la raison.
Les efforts qui restent à déployer pour convaincre les pays qui n'ont pas renoncé à cette pratique et pour protéger ces progrès (fragiles) en humanité ont été mis en relief hier lors du colloque organisé ce samedi  dans l'Agora du Conseil de l'Europe.
On le sait : 88% des exécutions sont le fait de cinq pays: la Chine (au moins 470), l'Iran (317), l'Arabie saoudite (143), le Pakistan (au moins 135) et les Etats-Unis (42).

L'ancien ministre de la Justice Robert Badinter a fustigé notamment les « Etats islamistes intégristes » comme l'Iran qui appliquent la peine de mort, appelant les pays musulmans abolitionnistes à « prendre le flambeau » contre la peine capitale.
« Aujourd'hui, les Etats islamistes intégristes qui ont recours à la peine de mort constituent le véritable problème. C'est particulièrement vrai pour l'Iran (...) où de 100 exécutions il y a trois ans, on est passé à plus de 300 en 2008. On a triplé les chiffres et le mouvement s'accentue", s'est-il inquiété, en regrettant que l'on « passe sous silence » le sort « des femmes pendues, lapidées » et celui des « hommes exécutés ».
L'une des grandes sources de tristesse et d'inquiétude des Européens reste évidemment les Etats-Unis « Comment prétendre dissuader avec la peine capitale des terroristes prêts à se jeter sur des tours?", s'est interrogé M. Badinter, jugeant que la peine de mort « nourrissait » au contraire le terrorisme. Loi de Dieu contre Loi de Dieu... « On ne peut pas discuter la loi de Dieu »...Prétention folle des humains...Qui se prennent ainsi pour Dieu
La militante des droits de l'homme Bianca Jagger, ambassadrice de bonne volonté auprès du Conseil de l'Europe, a notamment souligné qu' «un noir ou un Latino qui ne peuvent pas payer un bon avocat aux États-Unis a une meilleure chance d'être condamné à mort que le reste des accusés ». Elle a insisté sur le fait que « la peine de mort 'ne sert pas à arrêter les crimes ». Elle a également insisté sur le nombre d'innocents qui ont été exécutés par des erreurs judiciaires, qui deviennent «l'état de meurtre». Bianca Jagger a souligné qu'il y avait 3000 détenus condamnés à mort dans les prisons des États-Unis mais reste optimiste : le « rêve » d'une abolition générale de la peine de mort dans le monde « deviendra un jour une réalité

A l'occasion de cette Journée européenne contre la peine de mort l 'Union Européenne (27 Etats) et le Conseil de l'Europe (47 Etats) ont signé le 10 octobre une déclaration commune qui confirme l'engagement des institutions européennes à continuer à travailler pour l'abolition universelle de la peine capitale.
Les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, côté UE, ainsi que le président de l'Assemblée parlementaire, le président du Comité des Ministres et le secrétaire général du Conseil de l'Europe ont participé à la cérémonie.
Le Commissaire européen à la justice, la liberté et la sécurité Jacques Barrot a affirmé: "L'Europe a créé un espace où la peine de mort n'existe de facto plus, qui s'étend de l'Islande à l'ouest à Vladivostok à l'est et de la Norvège au nord jusqu'au sud-ouest de la Turquie - ceci est l'une de plus importantes réalisations de l'Europe." Il a souligné la nécessité de continuer les efforts, ajoutant : "C'est pourquoi la Commission travaille côté à côté avec les organisations non gouvernementales qui sont actives dans ce domaine et soutient les actions abolitionnistes".
Terry Davis, secrétaire général du Conseil de l'Europe, a remarqué que tous les membres de l'organisation ont aboli la peine de mort, à l'exception de la Russie qui a mis en place un moratoire. Il a ajouté : "Deux de nos Etats observateurs - le Canada et le Mexique - ont aussi aboli la peine de mort. Les deux autres - le Japon et les Etats-Unis - continuent à exécuter des gens. La Journée européenne conter la peine de mort est une occasion de leur rappeler qu'ils sont déconnectés du reste du monde démocratique et civilisé."

Parmi les initiatives prises ce jour, signalons celle du chef de la Délégation de la Commission européenne au Liban, Patrick Laurent, qui a publié une tribune dans plusieurs journaux, dont le quotidien francophone L'Orient-Le Jour. Il y explique que l'Union européenne est "premier bailleur de fonds" dans la lutte contre la peine de mort.
Il salue le moratoire sur les exécutions mis en place au Liban, tout en regrettant que des condamnations à mort y aient encore été prononcées en 2008. « La peine de mort est abolie progressivement par un nombre croissant d'États, y compris tout récemment par l'Albanie, le Rwanda, l'Ouzbékistan, l'État américain du New Jersey et l'Argentine. Nous espérons que le Liban les rejoindra prochainement en substituant à son moratoire une révocation permanente de la peine de mort, avec le soutien du peuple libanais, » conclut-il.

En France, Hélène Flautre, présidente de la sous-commission droits de l'homme du Parlement européen, a cosigné avec d'autres élus et militants le texte de Christian Charrière-Bournazel, bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, intitulé "Appel commun pour M. Troy Davis et tous les autres..." et publié dans Le Monde.
Le texte dénonce avec l'exemple de Troy Davis, condamné à mort aux Etats-Unis, le caractère insupportable de la peine de mort face à la possibilité de l'erreur judiciaire. On peut y lire : "C'est l'honneur d'un grand pays que d'accepter l'idée que l'on a pu se tromper. C'est aussi son honneur de faire en sorte qu'aucun innocent ne
soit injustement puni."
En France toujours, la Secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme Rama Yade a salué la tendance mondiale vers l'abolition, soulignant que quatre pays ont supprimé la peine de mort depuis le 10 octobre dernier. "La France est déterminée à rendre ce processus irréversible", a-t-elle ajouté.
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