C'est un terme qui a été employé par le psychologue et éducateur Robert J. Marzano (1993-1994) pour décrire la vision du
monde de certains chrétiens des États-Unis.
Les ultrafondamentalistes chrétiens considèrent que la Bible est un texte sacré, et que des récits comme celui de l’arche de Noé sont absolument véridiques. Ils sont bien connus au pays pour leur
opinion sur l’homosexualité et l’avortement, qu’ils considèrent interdits par Dieu, tout comme une longue liste d’autres choses reliées à l’activité sexuelle ou reproductrice.
Les ultrafondamentalistes et leurs sympathisants possèdent un réseau politique bien organisé incluant des écoles, des postes de télévision et des stations radio, par lesquels ils font passer leurs
messages auprès des masses et des décideurs.
Le mouvement a réussi à exercer une certaine influence sur les lois restreignant l’avortement, protégeant le fœtus et limitant la recherche scientifique sur les cellules souches ou les
embryons humains.
Il est également parvenu à faire élire certains de ses représentants au sein de conseils
scolaires, où ils ont modifié manuels et programmes (Simonds 1983; Forrest et Gross, 2003).
Évidemment, bien des gens aux orientations laïques possèdent aussi leurs propres écoles, réseaux de télévision et stations de radio, et tentent eux aussi d’influencer l’activité
législative du pays.
D’ailleurs, beaucoup d’entre eux se diraient en accord avec certaines des positions morales et juridiques des ultrafondamentalistes, s’ils ne craignaient pas d’être associés à certaines
de leurs croyances plus radicales.
Les ultrafondamentalistes chrétiens ont pour objectif ultime, tout comme leurs homologues juifs, musulmans et hindous, de
transformer leur société en véritable théocratie.
Ils se distinguent cependant par le fait qu’ils considèrent avec hostilité toutes les autres visions du monde et qu’ils croient qu’il faut les éradiquer, ou à tout le moins, freiner leur
essor (Marzano, 1993-1994).
À l’exception du communisme le plus extrême, sans doute, aucune pensée laïque n’adopte une telle position.
D’autres ultrafondamentalistes religieux, cependant, se proposent aussi d’effacer les religions concurrentes de la surface de la terre. Certains de ces groupes, comme les islamistes
ultrafondamentalistes, désirent même faire disparaître au sens propre les membres d’autres religions ou cultures, ou même certains de leurs coreligionnaires qu’ils ne jugent pas assez
orthodoxes.
À l’exception de quelques terroristes qui ont attaqué ou assassiné des gens associés au libre choix en matière d’avortement, les ultrafondamentalistes chrétiens demeurent plutôt non
violents.
En revanche, si jamais ils obtenaient le pouvoir politique aux États-Unis, on peut penser qu’ils se montreraient aussi intolérants que les islamistes envers la démocratie, la liberté, les
droits de la personne, le pluralisme et toutes ces valeurs chères à ceux et celles qui aiment la liberté.
Les ultrafondamentalistes américains croient également que dès l’origine, leur pays a été créé comme nation chrétienne
(Gabler et Gabler, 1985), destinée à évangéliser la planète (Saperstein, 1990), et que les intellectuels libéraux ont dévoyé la nation en lui faisant croire qu’il fallait une séparation
de l’Église et de l’État (Kennedy, 1987). Selon eux, les théologiens libéraux ont miné l’autorité de la Bible, tandis que les scientifiques et universitaires libéraux ont fait progresser
la théorie anti religieuse de l’évolution.
On désigne les penseurs libéraux comme des humanistes laïques «agressifs et évangélisateurs, prêts à détruire la foi traditionnelle, même s’il faut pour cela introduire l’occultisme dans
les écoles» (Gabler et Gabler, 1985). Dans certains opus ultrafondamentalistes, on dit des libéraux et des humanistes laïques qu’ils sont des adeptes du Nouvel-Âge, et qu’ils participent
à un effort systématique visant à introduire dans la culture américaine non seulement l’athéisme, le matérialisme et l’évolutionnisme, mais aussi des plaies telles que
l’acuponcture, le
biofeedback, l’environnementalisme, la médecine holistique, l’hypnose, la cabale, la méditation transcendantale
et le végétarisme
(Marzano, 1993-1994).
Dans la plupart des cas, toutefois, on établit une distinction claire entre la pensée libérale et le Nouvel-Âge.
Deux des tribuns les plus ardents de l’ultrafondamentalisme américain sont des évangélistes: Jerry Falwell et Pat
Robertson. Leur réaction aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 est révélatrice des croyances essentielles rattachées à leur vision du monde.
Selon eux, «les groupes de défense des libertés civiles, les féministes, les homosexuels et les partisans de l’avortement sont en partie responsables... car leurs actions ont suscité la
colère de Dieu contre les États-Unis»
Falwell a affirmé que Dieu avait permis «aux ennemis des États-Unis... des nous punir fort probablement comme nous le méritions», et Robertson d’approuver.
L’Union américaine des libertés civiles, d’après Falwell, «mérite une grande partie du blâme», et Robertson approuve derechef. Les juges des tribunaux fédéraux sont également à blâmer,
parce qu’ils «ont chassé Dieu de l’espace public».
À en croire les ultrafondamentalistes, les esprits libéraux ont conspiré pour faire pénétrer dans la société une morale relativiste, la tolérance envers les diverses opinions religieuses,
la liberté de pensée et toutes sortes d’idées anti chrétiennes comme l’estime de soi (Marzano, 1993-1994; Marrs, 1987 et 1990, Robertson, 1989 et 1990). Autrement dit, le libéralisme est
orchestré par Satan, et il nous mène tout droit vers l’Antéchrist (Marrs, 1987; Robertson, 1989). Il y a toutefois de fortes chances que cette prophétie soit aussi inexacte que les autres qu’on a lancées
à propos de la fin du monde.
Parmi les ultrafondamentalistes qui se démarquent, on retrouve aussi James
Dobson, fondateur de Focus on the Family, groupe qui se consacre à la lutte contre ces maux que sont
l’égalité entre les sexes, l’homosexualité, l’avortement et les juges à la pensée libérale.
Dobson dit d’un juge qu’il est libéral s’il refuse de se laisser guider par les valeurs ultrafondamentalistes dans sa prise de décisions.
Il critique les juges chaque fois qu’ils rendent des sentences selon leurs valeurs personnelles et leur interprétation du droit, et contrairement aux valeurs personnelles de Dobson.
C’est là un des écrans de fumée favoris des ultrafondamentalistes. Dans une réunion évangéliste tenue à Louisville, au Kentucky, à l’église baptiste Highview le 24 avril 2005, Dobson a
déclaré aux spectateurs que les juges de la Cour suprême des États-Unis étaient «dogmatiques et déterminés à réorienter la culture selon leurs propres préjugés».
Ils deviennent ainsi les architectes «du plus grand holocauste de l’histoire du monde». Ils «échappent à tout contrôle», et il faut «les mettre au pas». «Depuis 43 ans [soit le moment où
les tribunaux ont statué que la prière en groupe à l’école était anticonstitutionnelle], la Cour suprême poursuit sa campagne pour limiter les libertés religieuses».
En d’autres termes, une magistrature indépendante est aussi dangereuse pour les ultrafondamentalistes que la tolérance religieuse.
Sous prétexte de défendre les États-Unis et le monde chrétien, Dobson et les siens veulent renverser la constitution, tout en accusant ceux qui la défendent précisément de ce même crime,
une ruse qui ne convainc personne.
Les Pères de la Nation ont créé une Déclaration des Droits et une magistrature indépendante pour empêcher des sectes ultrafondamentalistes d’imposer leurs valeurs personnelles à
l’ensemble de la société.