L'écho de cette tragédie des temps modernes nous renvoie à d'autres catastrophes, vécues en d'autres temps. Demain sera terrible. Nous allons souffrir, comme d'autres ont souffert avant nous. Ceux qui ont connu la guerre, la mort, la désolation, les vies et les destins brisés. Victor Hugo le raconte admirablement dans "Waterloo, Waterloo, morne plaine”. Et le parallèle est troublant.
Avant de vaciller sous nos yeux effarés, notre vaillante économie libérale a eu son heure de gloire, ses héros magnifiés et ses maximes ciselées sur les frontons de marbre des écoles d'économie. Et ses soldats, traders, agents de change, gestionnaires de patrimoine, qui, comme les grognards de l'Empereur, connurent des jours bien meilleurs :
« Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands; ils avaient vaincu toute la terre.
Chassés vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d'airain !… »
Comme Napoléon le 18 juin 1815, dans la plaine belge, nous observons la tragédie de loin, sans n'y rien pouvoir. Et nous ne sommes les seuls...
« Il tenait Wellington acculé sur un bois.
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l'horizon, sombre comme la mer. »
Car dans la mêlée, justement, pas un dirigeant à la hauteur de la situation, qui rassure la planète par son calme et son courage. Beaucoup d'agitation, peu de stabilité réconfortante. Personne pour saisir calmement le cheval emballé du destin aux naseaux, pour l'obliger à changer de route. Au contraire : chaque nouvel événement annonce la catastrophe suivante :
« Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! - C'était Blücher !
L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme.
La mêlée en hurlant grandit comme une flamme.
La batterie anglaise écrasa nos carrés. »
« Hélas ! Napoléon, sur sa garde penchée,
Regardait et, sitôt qu'ils avaient débouché
Sous les sombres canons crachant des jets de soufre,
Voyait, l'un après l'autre, dans cet horrible gouffre,
Fondre ces régiments de granit et d'acier,
Comme fond une cire au souffle d'un brasier. »
Le désarroi saisit ceux qui commencent à voir la mort en face. Plus rien ne semble calmer des gens qui vont tout perdre, à commencer par leur argent et celui des autres. Les bourses asiatiques, russes, américaines, européennes, sont saisies de vertige. Rien n'enraye la chute et, comme la Grande Armée il y a près de 200 ans, la panique s'empare des marchés.
« La Déroute géante à la face effarée,
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
A de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève grandissant au milieu des armées,
La Déroute apparut au soldat qui s'émeut,
Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut ! »
Même les médias n'arrivent plus à suivre. Branchés sur le fil de l'AFP ou de Reuters, ils laissent couler le robinet à mauvaises nouvelles, que rien ne parvient à juguler. Sous nos yeux, un monde est en train de mourir. Un autre va naître. C'est notre seul espoir et il n'est pas vain.