Né à Nice en 1940, anglais par son père, breton par sa mère dont la famille a émigré à l’île Maurice au 18ème siècle, éduqué dès 7 ans au Nigeria où papa est médecin de brousse, études supérieures dans l’anglaise Bristol, il fait son service militaire en Thaïlande et vit en partie au Mexique après avoir beaucoup erré. Jean Marie Gustave Le Clézio est un écrivain du monde ; il écrit en français mais n’appartient pas à la littérature française. Le «beau style » ne l’intéresse pas, lui qui écrit avec 3000 mots denses. La comédie sociale ne l’intéresse pas, lui qui préfère les sauvages, et si possible encore enfants. L’ironie des bons mots et la satire des mœurs ne l’intéresse pas, lui qui fait face à la nature, aux éléments, à ce qu’il y a de brut sur la terre.
Sensible, il se laisse envahir par les éléments, la lumière, le froid, le vent, la mer. Cela va jusqu’à la sensualité qui est harmonie avec l’entour. Jon, adonaissant islandais, se roule tout nu sur la mousse couverte de rosée dans l’une des nouvelles de « Mondo ». Jon ne fait plus qu’un avec la terre travaillée de laves souterraines, avec le ciel incommensurable au-dessus. A un point tel qu’il va sortir du temps et de l’espace pour rencontrer le génie du lieu, un petit garçon amical qui aime la musique. Et la nuit fut un rêve, une parenthèse entre les jours. La sensibilité, ce sont aussi les autres. Mondo, dans une autre nouvelle, est justement ce petit gars au teint cuivré et aux yeux obliques qui vient de nulle parte et ne sait pas lire, errant sur les quais de Nice, aidant les maraîchers, les bateleurs et les pêcheurs, demandant à qui lui plaît : « Voulez-vous m’adopter ? ».
Mais c’est là que la bureaucratie, la paperasserie et tous ces écrans que les sociétés mettent entre les relations humaines empêchent Mondo de s’installer quelque part. Il est le Nomade par excellence, tout comme l’auteur, qui rêve en voyant partir les cargos vers une lointaine Afrique aux existences fabuleuses. Jean Marie Gustave, adulte, ira chercher auprès des anciens Mayas, au Mexique, cette part de rêve irréductible envers les mystères du monde. Il dira le désert, cette étendue vide et stérile, terre élémentaire, nue, domaine de tous les possibles immatériels : la relation humaine, la poésie. Toujours l’ailleurs…
Tel est le fond libertaire de l’écrivain, marqué par son époque, sa famille, son éducation tout entière. Eternel voyageur, il se cherche. Explorant son enfance par les contes qu’il envoyait aux cousines, dès 7 ans ; racontant sa mère ; allant à la recherche du trésor du grand-père ; traquant cette soif de l’or des explorateurs occidentaux. Il récuse la quête occidentale de se vouloir frénétiquement comme « maître et possesseur de la nature ». Lui veut l’harmonie, ce pourquoi le désert est pour lui liberté et les filles du tiers-monde des initiatrices à la sagesse immémoriale (« Onishta »). Il croit tous les actes sans origines et tous les acteurs sans conscience. Il rejoint ainsi la pensée tragique, cet absurde de Camus qui l’a inspiré pour « Le Procès-Verbal ». Sa conscience flottante s’apparente au zen et au contemplatif des Indiens mexicains ; il s’agit de se fondre dans le grand Tout, avec une attention aigue à tout ce qui survient, êtres et choses. La noblesse et la liberté ne sont pas pour lui dans la possession mais dans l’harmonie.
Cette assonance, Jean Marie Gustave la recherche par la parole. Il se veut un conteur depuis tout enfant. Ce pourquoi les mots doivent rester bruts, et les phrases ne pas séduire par leur apparence. Au-delà du langage, tout est signe. Dire ce qui est, précisément, pour bien se faire comprendre avec les mots de base, telle est cette « médecine » de l’âme que l’écrivain propose aux lecteurs d’aujourd’hui. Le roman comme médecine pour guérir des interrogations existentielles : lisez Le Clézio, écrivain sans frontières, par hasard en français.
A l’heure où la rationalité scientiste vacille sur les marchés financiers, où la prédation industrielle est remise en cause par le climat, où le démocratisme droidelomiste apparaît comme un néo-colonialisme pour les pays émergents – Jean Marie Gustave Le Clézio est récompensé par le Nobel comme « écrivain en français » qui a répudié toute arrogance française et toute bonne conscience occidentale. Il veut interroger le monde, pas son nombril. Et c’est plutôt rare.
Œuvres :
- Le Procès-verbal, 1963
- Le Déluge, 1966
- Terra amata, 1967
- L’Extase matérielle, 1967Le Livre des fuites, 1969
- La Guerre, 1970
- Les Géants, 1973
- Voyages de l’autre côté, 1975
- Les Prophéties de Chilam Balam, 1976
- L’Inconnu sur la terre, 1978
- Mondo et autres histoires, Gallimard, 1978
- Vers les icebergs (essai sur Henri Michaux), 1978
- Désert, 1980 évoqué dans Fugues ici - et là .
- Trois Villes saintes, 1980
- La Ronde et autres faits divers, 1982
- Le Rêve mexicain, Gallimard, 1982
- Le Chercheur d’or, 1985
- Voyage à Rodrigues, 1986
- Printemps et autres saisons, 1989
- Onitsha, 1991
- Étoile errante, 1992
- Diego et Frida, 1993
- La Quarantaine, 1995
- Poisson d’or, 1996
- La fête chantée, 1997
- Hasard suivi de Angoli Mala, 1999
- Fantômes dans la rue, 2000
- Coeur brûle et autres romances, 2000
- Révolutions, 2003, évoqué dans Fugues ici - là - et là.
- L’Africain . 2004
- Ourania, 2006, chroniqué dans Fugues
- Raga approche du continent invisible, 2006
- Ballaciner, 2007
- Ritournelle de la faim, 2008
Une belle biographie sur une page perso