… Carte IGN 2521 E (1)
par Chambolle
Rappel de la règle du jeu: L’itinéraire est une boucle. Il peut être reconstitué sur la carte titre à l’aide des nombreux indices semés dans le texte. À l’exception des hameaux comptant, au plus, dix maisons, aucun nom de ville, village ou bourg n’est cité.
Pour le départ, c’est en bas et à droite, entre Puisaye et Forterre, par 47°33′ de latitude nord et 3°11 de longitude est. On se gare facilement dans ce gros village. Une place y est aménagée à proximité immédiate du cimetière. Les tombes de cette modeste nécropole n’ont rien d’ostentatoire. Elles alignent en rangées sages leurs dalles croix, stèles et colonnes brisées, avec, réduites au strict nécessaire : un prénom, un nom, une date, des inscriptions qui sont à peine des épitaphes. La municipalité l’a équipé du point d’eau indispensable à l’entretien des bruyères, bordures et plantes en pot dont les vivants décorent le souvenir de défunts plus ou moins regrettés. Le randonneur de passage peut y faire provision d’eau tout en méditant sur la vanité des choses humaines. Cet exercice n’est jamais inutile. Une fois sa gourde remplie, on s’en va vers le centre du bourg. Des terres cuites, exposées aux fenêtres ou dans les vitrines d’anciens commerces reconvertis en épisodiques galeries, rappellent au passant qu’ici, les potiers ont succédé aux jansénistes. Il m’arrive de regretter que ceux-ci n’aient pas légué à ceux-là leur sens de la rigueur et du dépouillement.En arrivant à l’église que le chauvinisme local décore du titre de cathédrale de la Puisaye, pour la même raison que Montargis est la Venise du Gâtinais et les collines des environs de Rouen, la Suisse normande, on descend à droite vers la Maison Blanche. Ce lieu-dit n’a aucun rapport, même lointain avec le cottage
de l’Oncle Sam et la Vrille qui coule à quelques mètres n’a rien à voir avec le Potomac. On la traverse sur une passerelle et on grimpe jusqu’aux Champs aux Oies. Là-haut, à 284,9 m d’altitude, les ULM ont remplacé des volailles désormais cantonnées dans des enclos soigneusement grillagés. Nos oreilles y perdent en silence ce que nos mollets gagnent en sécurité. Tous ceux qui apprirent à lire dans les manuels de morceaux choisis de feu l’école de Jules Ferry vous le diront : le jars était le pit-bull des campagnes d’avant la mécanisation et le remembrement.A une montée succède fatalement une descente. Entre champs, prés et bosquets, celle-ci conduit au creux d’un vallon. Un très épisodique ruisseau y coule parfois. Le plus souvent, on n’y trouve qu’une vaste flaque où viennent boire merles, geais et moineaux puis, non moins inexorablement on entame une grimpette. Il n’y a pas de meilleure métaphore des cours de bourse qu’une randonnée entre Forterre et Puisaye.
A mi-pente, on trouve le lavoir de la Mare Lée. Des panneaux détaillent les particularités, impluvium, bassin ovale et cheminée, d’un lieu qu’on ne trouve charmant que parce que les progrès de l’électroménager ont supprimé l’abominable corvée de lessive. J’ai bien dit abominable, puisque synonyme d’heures passées à trimballer de la cuisine au lavoir de lourdes lessiveuses en équilibre instable sur d’encore plus pesantes brouettes, puis à se casser le dos, tout en se gelant les mains, pour rincer draps, serviettes et chemises, sans oublier l’épreuve finale du repassage avec des fers chauffés au feu de bois dont le maniement était rien moins qu’un aimable passe-temps.En haut de la côte, second village. On ne fait que l’effleurer, remettant à une autre fois la visite des maisons ornées d’inscriptions « Renaissance » et du belvédère. Aujourd’hui après trois longères (dont l’une en cours de restauration) le chemin du Paradis s’ouvre sur la gauche ce qui n’aurait pas manqué de surprendre Monseigneur Lefèvre. Circonstance aggravante, il descend. Tout foutrait-il le camp ? Non ! car il remonte (raisonnablement) à la hauteur des Buseaux où un troupeau de charolaises contribue innocemment au réchauffement climatique. Je les assure, au passage, de ma solidarité active. L’expert onuso-végétarien qui prétend m’imposer de réduire ma ration de bifetèque à 40 grammes par jour (soit un peu moins que ce qu’autorisait ma carte de rationnement J3 pieusement conservée par ma grand-mère en même temps que mon livret de caisse d’épargne et mon missel de premier communiant) peut aller se faire voir chez les Californiens. Les vaches et moi nous voulons flatuler en paix. Je ne l’empêche pas de se goinfrer de tofu à la sauce aux germes de maïs sans OGM. Qu’il me laisse savourer la goûteuse entrecôte, le filet fondant et le solide gîte à la noix !
Juste avant les Devaux, la piste part vers la droite (c’est Monseigneur Lefèvre qui va être content). Entre champs et forêt, elle glisse jusqu’à la Charmaie puis aux Guittons où, des volets clos, un jouet en plastique abandonné dans l’herbe et des chaises vides sous un tilleul (mais c’était peut-être un marronnier) attestent que les propriétaires des lieux, résidents aussi épisodiques que secondaires s’en sont allés quelque part dans la jungle des villes et qu’ils ne reviendront, peut-être, que pour de prochaines vacances.
Le chemin, tout en herbe, descend vers le troisième village lequel se place sous la double invocation d’une des saintes femmes qui ramenèrent à Auxerre le corps de saint Germain et d’un affluent de la rive gauche de la Seine. On peut y faire une halte réparatrice à base de fruits secs, barres vitaminées, eau fraîche et considérations sur le désert français, assis sur le muret qui protège une pompe à bras hors service mais tout à fait couleur locale.La petite route qui suit et qui, par les Landris, les Marlots et les Rèbles, conduit à l’Orme du Pont ignore ce que le mot bouchon veut dire. En un peu plus de trois kilomètres je n’y ai croisé que trois voitures : le 4*4 d’un chasseur cherchant son chien (sans lequel, manifestement il ne saurait chasser), le Berlingo, qui était peut-être un Kangoo, jaune de la Poste et un de ces utilitaires d’un beige crasseux qui encombrent les parkings « exposants » des brocantes, vide-greniers et braderies. Les naturels de la région observent ces véhicules, surtout quand leurs conducteurs ont l’œil noir, le teint mat et la chevelure bouclée, avec la même méfiance que leurs grands-parents quand ils voyaient apparaître au détour d’une route les verdines brinquebalantes des antiques romanichels.
De l’Orme du Pont où une ferme achève de tomber en ruines à côté d’un étang temporairement asséché, on poursuit, sur la petite route toujours aussi peu encombrée de véhicules à pétrole raffiné, jusqu’à la départementale 955. Au passage, on aperçoit sur la droite les Baronnets et les Fébés. Un, ou une, propriétaire épris(e) de classicisme a modifié ce nom en Phébé. Pourquoi pas ? Il ou elle a bien le droit de se placer sous le patronage de la fille de Gaïa et d’Ouranos. Indécrotablement péquenot, je préfère Fébé, avec sa F poyaudine, décrétant, sans le moindre commencement de preuve, que ce nom évoque, au choix, un champ de fèves, un hêtre qui aurait eu la forme d’un B (le Faye B) ou, pourquoi pas, une forge. Plus une étymologie est approximative, plus je lui trouve de charme.
On longe la départementale sur une centaine de mètres et on tourne à gauche sur une troisième petite route en direction du Tourailler. A qui sait voir, des éclaircies dans les bouchures permettront de découvrir la Tour Sarrasine et le château qui dominent le chef-lieu de canton où l’on fera halte pour pique-niquer (beau temps) ou profiter des ressources hôtelières locales (intempéries diverses, dues au passage d’une dépression en provenance de la mer d’Irlande). Le premier chemin à droite qui passe par les Paillards nous en rapproche. Dans le hameau, outre un chien aboyeur mais pacifique et divers engins agricoles, une succession de petites mares reflètent l’inconstance d’un ciel qui ignore l’uniformité.Au bout du chemin, c’est de nouveau la route. Ignorez la piste qui va aux Corbeaux. Contrairement à ce qu’annonce l’IGN, elle se termine en impasse. Continuez jusqu’à atteindre le gros bourg aperçu tout à l’heure. Un écrivain français de grand talent y a passé son enfance et le début de son adolescence. Elle y a son musée, installé dans le château. Contrairement à l’usage, le lieu n’est pas rempli des reliques (bureau, porte-plume, encrier, tapis de bain et paires de bottines usagées) offertes d’habitudes aux fidèles qui fréquentent ce genre d’institution. Ici on a voulu mettre en valeur les textes, ce qui est bien le moins s’agissant d’un auteur, avec, habileté supplémentaire, une place laissée à l’imaginaire, cet espace entre les caractères et les lignes qui fait que, si nous déchiffrons les mêmes phrases, aucun de nous ne lit le même livre. La vérité m’oblige à dire que certains trouvent l’endroit catastrophique voire blasphématoire.
Passons, c’est bien le moins quand on marche. Pour les drogués du monument vernaculaire, je signale un second lavoir. Il est en contrebas du banc installé à deux pas du ballast de l’ancien tacot. Très utile ce banc : on peut, si l’on ne craint pas de passer pour un clodo, y casse croûter tranquille. Les indigènes, qui en ont vu d’autres et de beaucoup plus folkloriques, vous saluent au passage et certains vous font même la grâce d’un bout de conversation.
Malheureusement, le café-bar-brasserie qui vous abritera en cas de mauvais temps, ne prépare pas les solides nourritures qu’appréciait l’écrivain. On n’y trouve ni la tarte au fras, ni les œufs en meurette pas plus d’ailleurs que le poulet à la glaise, le gigot d’onze heures ou d’beu en daube. Petite suggestion pour la daube : vous la préparez la veille et le soir. En arrivant à la maison, vous la dégraissez très partiellement, vous la faites réchauffer tout doucement et vous servez avec des pâtes fraîches et une bouteille d’Irancy (Les Mazelots 2002 par exemple). En entrée, une bonne assiette de bouillon qui vous fera un fond d’estomac confortable, un fromage au lait cru (vade retro Besnieras), un dessert dont je vous toucherai deux mots tout à l’heure et vous voilà requinqué et prêt à explorer, de nouveau, les espaces inconnus de la campagne bas-bourguignonne.
Chambolle
(à suivre)
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