De l'inénarrable Pierre Catalan à moi, on pourrait, on devrait penser, même, qu'il n'y a aucun lien. Faux : il y en a trois. Notre futur commissaire européen - à Dieu ne plaise ! - a récemment, dans l'un de ses délicieux articulets dont il a le secret, tagué Le Chafouin, lequel Chafouin a, à son tour, tagué son concitadin lillois Aymerick Pontier, lequel m'a, donc, tagué à nouveau. Trois tags, et ainsi autant de maillons d'une chaîne qui relie, en apparence, deux pôles opposés de la réflexion sur l'avenir de l'Europe : de l'« Européen convaincu » à l'« eurosceptique ». En apparence seulement, car si mes propos récurrents sur ce blog à l'égard de la construction européenne ont pu faire penser à un rejet total de l'idéal européen, il n'en est rien : je constate simplement que, depuis la fin de la Guerre froide, le projet européen ne peut plus être considéré comme une fin en soi. La Communauté économique européenne (CEE) réunissait des pays qui, tout en appartenant au bloc occidental dominé par les États-Unis, étaient désireux, au terme de douloureuses expériences, d'intensifier leurs relations économiques renaissantes au point de devenir interdépendants, et ainsi d'établir une paix durable sur un Vieux Continent épuisé. Avant d'achever leur unité.
Parallèlement, et ce jusqu'à l'adhésion des Îles britanniques à la CEE (1973, en compagnie du Danemark), il s'agissait de dégager progressivement l'Europe de l'hégémonie américaine, qui avait constitué le prix de la Libération du joug nazi.
Comme s'en était douté le général de Gaulle qui l'avait toujours refusée, l'entrée du Royaume-Uni dans la CEE devait mettre fin, à terme, à un projet proprement continental, cherchant à être équidistant de Washington et de Moscou, tout en étant allié au premier. Les Britanniques ont toujours prévenu leurs homologues européens qu'ils ne choisiraient jamais entre l'Atlantique et le Continent. Cependant, à moins de vouloir ressusciter le Blocus continental, on ne pouvait guère envisager, sur la durée, une construction européenne sans l'une des plus grandes puissances d'Europe.
Cette adhésion mettait ainsi fin au projet « rhénan » pour lui substituer un projet « atlantique ». La fin de la Guerre froide, abaissant le « Rideau de fer », aurait pu provoquer un recentrage de l'Europe sur elle-même, si les pays libérés de la tutelle soviétique n'avaient pas dû leur indépendance recouvrée aux États-Unis, et non à la France qui, comme toujours depuis 1938, ratait par là-même une occasion historique.
Il serait vain, toutefois, de regretter la vague d'adhésion de 2004 au motif que les nouveaux pays entrants seraient, pour leur voisins de l'Ouest, fort peu « européens ». L'identité européenne, si tant est qu'elle existe, ce dont il est permis de douter, est sans lien aucun avec l'adhésion au projet fédéraliste européen. On soutiendra difficilement que la Suisse, la Norvège ou l'Islande, qui refusent l'adhésion qui leur est proposée, sont moins « européennes » que la Turquie, candidate de longue date.
Si la vision atlantiste de l'Europe a fini par triompher, c'est donc qu'elle s'accordait au sens de l'histoire. À moins de verser dans un nationalisme nostalgique et rétrograde, dont ce blog a en quelque sorte permis la catharsis, il faut se résoudre à l'idée que la souveraineté absolue des nations d'Europe a fait son temps, et que ces dernières doivent édifier une structure confédérale qui reste, avec le blocage du Traité de Lisbonne, à déterminer, avant, dans les prochaines décennies et sous réserve que les États-Unis y consentent, d'établir une Union qui réunirait les deux rives de l'Atlantique Nord, une Union civilisationnelle : l'Union occidentale.
J'attends une objection que, comme je l'attends justement, je m'apprête à balayer d'un revers de la main : il n'y a aucune espèce de contradiction entre la construction d'une Union réunissant tous les peuples occidentaux, c'est-à-dire toutes les cultures prenant leurs sources dans le double héritage gréco-romain et judéo-chrétien, d'une part, et, d'autre part, ma défense récurrente de la Francophonie. Cette dernière, d'ailleurs, est moins défense de la langue française que promotion, à partir du français, de la diversité linguistique et culturelle. C'est précisément ce multilinguisme, au niveau occidental, qui constituera le principal défi : il faudra s'assurer, avec l'avènement d'une Union de l'Occident multilingue, que le rapprochement des peuples occidentaux ne signifie pas l'effacement de leurs langues et de leurs cultures au profit de celles du plus puissant d'entre eux : l'anglais et la culture anglo-saxonne.
Cela, c'est l'affaire du demi-siècle, voire du siècle à venir. On me pardonnera donc de ne pas proposer quatre idées comme l'ont fait mes prédécesseurs dans la chaîne, mais de me contenter de former un vœu : que mon dernier souffle, que j'espère bien sûr le plus tardif possible, ne soit pas seulement celui d'un Français, d'un Européen, mais avant tout, et par-dessus tout, soit celui d'un Occidental de langue française.
Roman Bernard
Je continue cette chaîne en taguant les LHC Lolik, Lomig, René et Rubin, le républicain Malakine et, comme il m'a fait l'honneur de me destiner un courriel sans que je le sollicitasse, l'excellent Philippe Bilger.
Criticus est membre du Réseau LHC.