Les observateurs qui attendaient que Sarah Palin lance, au cours du débat qui l'opposait la semaine dernière à Joseph Biden, une bourde plus ou moins énorme en auront été pour leurs frais. La candidate, dûment chapitrée et préparée par un bataillon de conseillers, a su éviter toute démonstration de sa méconnaissance des sujets internationaux, économiques ou environnementaux.
Le rôle de la modératrice du débat, limité au strict minimum, la quasi-absence de dialogue entre les deux adversaires et une récitation consciencieuse du programme républicain y furent sans doute pour beaucoup. Ses réponses ne correspondaient pas toujours aux questions posées, les plus embarrassantes étant simplement éludées. Les seuls moments où elle sembla sortir du chemin qui lui avait été tracé par son équipe de communication furent consacrés à sa famille et à ses références favorites à l'Amérique profonde et anti-élites : Joe-Six-Pack (" le beauf, il est blanc et fier de l'être, appartient à la classe ouvrière et n'a pas été à la fac. [...] Sa boisson de prédilection, c'est la bière pas trop chère qui se vend en canettes par pack de six, d'où son surnom ", selon une définition de Ted Stanger) et les Hockey mums (mères de famille de la classe moyenne accompagnant leurs enfants aux entrainements sportifs). Il en est sorti un débat plutôt terne, politiquement correct et sans grand intérêt.
Selon les commentateurs, Sarah Palin s'en serait " mieux sortie que prévu ", ce qui en dit long sur ses performances passées, notamment ses entretiens télévisés avec Charlie Gibson sur ABC et Katie Couric sur CBS où ses gaffes, ses explications embrouillées avaient créé une vive émotion jusque dans son propre camp. En d'autres termes, le niveau d'attente était tellement bas que sa prestation finit par ressembler à une victoire... Pour la presse américaine et les internautes, Joe Biden l'aurait emporté d'une très courte tête dans ce débat, mais, aux Etats-Unis, ni la presse, ni les internautes n'offrent un panel représentatif de la population de l'Amérique profonde dont le vote reste prépondérant. Aux yeux d'une grande partie de celle-ci, les approximations politiques de l'ancienne dauphine de miss Alaska ont moins d'importance que les " valeurs " populistes, conservatrices et religieuses qu'elle représente. Dans un pays où 82% des habitants croient en Dieu, son profil, proche des chrétiens les plus intégristes, serait plutôt séduisant pour une partie importante de l'électorat, en dépit des derniers sondages sur fond de crise financière qui placent Barack Obama en tête.
Car tel est tout le paradoxe de l'Amérique : l'image que nous nous en faisons en Europe se rapporte souvent aux technologies de pointe, aux multiples prix Nobel scientifiques remportés depuis de nombreuses années par les chercheurs, aux laboratoires remarquablement équipés des universités - pour résumer, à la modernité. Il suffit cependant de ce rendre sur place pour constater que cette vitrine cache une autre réalité. Si New York et ses gratte-ciels font rêver, on se réveille vite en voyant les nombreux nids de poule qui parsèment les rues et les avenues et les clochards qui dorment dans des caisses de carton sur les trottoirs. De même, aux performances de l'industrie et de la science, s'oppose l'obscurantisme religieux quasi médiéval d'une partie de la population auquel Sarah Palin semble adhérer sans états d'âme.
Si, au cours de la dernière campagne présidentielle en France, bien des électeurs se sont émus des références religieuses des deux candidats finalistes (chacun dans son style), le profil de la gouverneure de l'Alaska inquiète bien davantage.
Il est vrai que, comparé à Sarah Palin, Georges W. Bush ferait presque figure d'agnostique. Influencé par le pasteur évangélique Billy Graham, il appartient à l'Eglise méthodiste et ne fréquente pas assidument les offices, même s'il a ancré le religieux très à droite (privilégiant le conservatisme moral aux orientations sociales). En revanche, la colistière de John McCain a fait partie, jusqu'en 2002, de l' Assembly of God de la petite ville de Wasilla, une congrégation Pentecôtiste en plein essor dans de nombreux pays, qui se distingue par une approche particulièrement intégriste de la religion, interdisant le tabac, l'alcool, la danse, la sexualité avant le mariage et faisant une large part aux interventions supposées de l'Esprit saint, caractérisées notamment par la glossolalie. Bien que s'y rendant encore de temps à autres, elle fréquente maintenant régulièrement la Wasilla Bible Church, une église indépendante aux pratiques plus conventionnelles et laisse entendre qu'elle ne se situe pas (ou plus) dans une zone précise de la nébuleuse protestante.
Les croyances de Sarah Palin ne regarderaient qu'elle si elle ne pouvait devenir vice-présidente de l'état le plus puissant du monde (dont les interventions internationales sont imprégnées de messianisme), voire prendre la place du président si celui-ci n'achevait pas son mandat. Or il n'est guère rassurant, à titre d'exemple, de voir que la candidate, en 2005, se faisait bénir par le pasteur Thomas Muthee, chasseur de sorcières kenyan, dans les termes suivants :
" Au nom de Jésus, au nom de Jésus, chaque forme de sorcellerie est ce que vous devez rejeter. Au nom de Jésus, au nom de Jésus, disparaissez " (il s'adressait a priori aux forces du Mal). " Parlez à Dieu de cette femme [...] sauvez-la de Satan ". Pragmatique, comme beaucoup de prêcheurs aux Etats-Unis, il ajoutait encore : " Mon Dieu, ouvrez-lui la voie. Apportez des fonds à sa campagne, au nom de Jésus. Utilisez-la pour que ce pays revienne dans le droit chemin ".
Pour tenter de comprendre le phénomène pentecôtiste, on pourra lire, avec une certaine prudence toutefois, un ouvrage de Peter Hocken, Le Réveil de l'Esprit (120 pages, Fides, 10,67 €). L'histoire de cette branche du protestantisme y est expliquée, ainsi que certains de ses principes, notamment les pratiques de prétendues guérisons ou de " l'Evangile de la prospérité " qui font la fortune de plusieurs pasteurs vedettes, aujourd'hui objets d'enquêtes d'une commission financière du Congrès américain pour suspicion de fraude fiscale. On trouvera également dans le livre des informations sur ce que les fidèles appellent des " dons spirituels " qui se traduisent par des transes, hurlements et autres convulsions qui ressemblent à s'y méprendre à des crises d'hystérie ou de folie furieuse pour les non-initiés.
L'une des particularités du pentecôtisme est également son orientation prémillénariste, c'est-à-dire la conviction que la fin du monde est proche et qu'il faut s'y préparer et s'en réjouir. Se fondant sur diverses prophéties bibliques (Ezéchiel, Daniel, l'Apocalypse de Jean) et sur la première épître de Paul aux Thessaloniciens, les adeptes attendent l'enlèvement des saints au ciel, la conversion d'Israël et la bataille d'Armageddon, qu'ils situent dans la plaine de Megiddo, à 90 km au nord de Jérusalem. Ces croyances, partagées par d'autres évangéliques, n'ont pas été sans influencer la politique américaine au Moyen-Orient, c'est pourquoi les propos tenus par Sarah Palin devant des étudiants, où elle qualifiait de " mission divine " l'envoi de troupes en Irak peuvent légitimement inquiéter.
Par ailleurs, l' Assembly of God soutient fermement les théories créationnistes (dites encore intelligent design) et pense que le texte de la Genèse doit être pris littéralement. Or, si l'on en croit le Los Angeles Times du 29 septembre, la candidate à la vice-présidence aurait, en 1997, confié à Philip Munger, professeur de musique à l'Université de l'Alaska, sa conviction que les dinosaures et les hommes avaient vécu ensemble sur la terre, il y a six mille ans, et qu'elle avait vu " des traces d'humains à côté de celles de dinosaures ". On aurait aimé connaître sa source (d'autant que son équipe électorale n'a pas démenti l'anecdote), et visiter ce curieux pays des merveilles, qui rappelle le film Un million d'années avant J.C. où brillait une autre reine de beauté, Raquel Welch.
Ce délire, qui s'oppose aux conclusions des recherches des paléontologues du monde entier, est toutefois accepté comme une vérité par 39% des Américains et 60% des intégristes religieux dits " born again ", selon une étude récente de Harris Interactive. Cela explique sans doute le succès du musée du créationnisme, un investissement de 25 millions de dollars réalisé à Petersburg (Kentucky) où l'on peut voir des enfants jouer avec des raptors, et qui fait penser à cette phrase de Spinoza dans l'Appendice de L'Ethique : " La volonté de Dieu, c'est l'asile de l'ignorance ". Peut-être ces dérives irrationnelles sont-elle, par réaction, à l'origine d'une croissance de l'athéisme outre Atlantique, mais cette tendance, qui représenterait 16% de la population, soit un doublement en 10 ans, reste assez marginale car elle touche surtout les jeunes générations, moins mobilisées dans le corps électoral.
L'écrivain et journaliste Douglas Kennedy s'est attaché, dans une enquête particulièrement intéressante, à analyser les raisons pour lesquelles la première puissance mondiale en est arrivée là. Au pays de Dieu (Pocket, 340 pages, 6,80 €) se présente comme le récit du voyage qu'effectua l'auteur dans la " ceinture biblique " constituée par les états du sud du pays. Il y décrit, d'une plume alerte et non dénuée d'humour, toutes les formes que prend l'engagement religieux, des plus classiques aux plus délirantes, rapporte nombre d'anecdotes sur les télévangélistes qui affirment à leurs fidèles avoir des conversations régulières avec Dieu pour mieux leur soutirer des dons, raconte comment certains groupes de pression œuvrent dans l'ombre pour tenter de faire de l'Amérique une théocratie à l'iranienne. L'importance du phénomène est telle qu'il note, dans sa préface :
" De nos jours, le public américain ne réagit plus quand l'un de ces prédicateurs éructe sa défense et son modèle des valeurs de la famille, ou soutient que le sida est la punition divine envoyée contre la moderne Sodome. Mais pourquoi ? Tout simplement parce que la droite chrétienne est devenue une force spécifique, et hautement influente, sur la scène politique du pays. Une force électorale qu'il est impossible de qualifier de " marginale et illuminée " lorsque l'on brigue un siège au Congrès, ou un poste de gouverneur et, bien entendu, la présidence elle-même. "
Si Sarah Palin, qui s'est prononcée contre l'avortement (même d'une jeune fille de 15 ans violée par son père, selon une question de journaliste) et contre l'éducation sexuelle à l'école (mais pour la promotion de l'abstinence - inefficace, sa propre fille l'a prouvé), ne paraît pas susciter beaucoup de sympathies en France, elle semble au moins avoir séduit Christine Boutin qui, si l'on en croit un article du (sic) Figaro, aurait confié : "La petite jeune femme de chez McCain me plaît bien. Voilà une femme jeune qui a cinq enfants dont un trisomique et une fille enceinte qui va se marier. En plus, elle vient de l'Alaska, l'un des premiers États à avoir mis en place le dividende universel ; elle a tout pour plaire." Comme disait Pierre Desproges en conclusion de sa Minute de M. Cyclopède : " Etonnant, non ? "Rachat de crédit assurance vie