La liberté ne peut être que toute la liberté ; un morceau de liberté n'est pas la liberté.[Max Stirner]
Caramel.
Cette pâte épilatoire dont les femmes orientales détiennent le secret. Mélange de sucre, de citron et d’eau avec une infime pincée de sel. Une pâte tiède que des mains sensuelles manient avec un savoir-faire ancestral. C’est le mélange sucré-salé, aigre-doux, c’est le sucre à la fois délicieux et brûlant qui enveloppe une société de femmes. Un moment uniquement féminin, jusqu’à l’égoïsme, fait de complicité, de sensualité, peuplé de tout ce que le machisme oriental interdit et condamne.
Caramel est un bouquet de vies de femmes que Nadine Labaki présente dans leur quotidien, dans le cocon d’un salon de coiffure « pour femmes » de Beyrouth (Liban), au sein d’une société qui, malgré les apparences, reste figée dans un carcan de tabous et de pudibonderie. Dans cet univers féminin, des femmes d’âge, de religion, de niveau social et culturel différents partagent une seule souffrance : l’hypocrisie de la société, le fardeau d’être une femme dans un univers soumis aux lois dictées par une phallocratie prétentieuse et ridicule.
Jusqu’à son mariage une femme vit chez ses parents, doit rester vierge et veiller à ne pas érafler «l’honneur » de la famille. L’amour est tabou, il devient clandestin. Le sexe est interdit, on invente des recettes pour « tacher les draps » la nuit de ses noces. L’homosexualité est un crime, on l’étouffe sous des tonnes de frustration.
Layale : Jeune chrétienne de 30 ans, elle vit encore chez ses parents comme toutes les femmes non mariées au Liban. Amoureuse et maîtresse d’un homme marié qui l’ignore, idolâtrée par un jeune et charmant policier.
Nisrine : Une musulmane de 28 ans. Elle prépare son mariage avec un homme qui ne sait pas qu’elle n’est plus vierge. Jongler entre la chirurgie réparatrice et les astuces ancestrales devient nécessaire, car en parler serait signer son déshonneur.
Rima a 24 ans, un petit côté garçon maqué, silencieuse et refermée sur elle-même comme une huître. Elle se cherche. Elle n’est pas comme les autres. Les hommes ne l’intéressent pas. Rima aime les femmes. Un crime.
Jamale lutte par tous les moyens contre les jours qui s’arrachent à son calendrier, refuse sa ménopause. Elle souffre d’avoir été plaquée par son mari pour une femme beaucoup plus jeune, pendant qu’elle se sacrifiait pour ses enfants et son foyer.
Rose a 65 ans, elle est chrétienne, elle ne s’est jamais mariée afin de s’occuper de sa sœur, handicapée mentale. A 65 ans elle rencontre l’amour mais le laisse passer, par sacrifice pour sa sœur, surtout par autocensure et crainte du jugement de la société.
Lili a 85 ans. Dans sa jeunesse elle était tombée amoureuse d’un officier français ; amour condamné et interdit par sa famille. Lili en perdit la tête. Elle ne vit que pour ramasser les bouts de papiers qui traînent partout, jusqu’aux contraventions sur les pare-brises des voitures, les lettres d’amour qu’elle n’a jamais reçues. Lili est un adorable fardeau qui empoisonne, sans méchanceté aucune, la vie de sa sœur.
Puis il y a cette femme-rêve qui ne porte pas de nom ; parfaite jusqu’au mystère qui l’enveloppe. Elle vit une continuelle frustration comme toutes ces filles libanaises mariées (vendues) jeunes contre leur grès avec des octogénaires. Elle vit seule, divorcée ou veuve, et recherche dans son regard langoureux et ses silences une complicité, qu’on pourrait deviner féminine.
Une complicité se tisse entre ces femmes, le besoin de briser les chaînes, de déployer leurs ailes et de s’envoler loin vers le soleil de la liberté. L’homme, le mâle, n’est présent que dans leurs mots, dans leurs fantasmes, dans leurs rêves et dans leur espoir. Il flotte comme une chimère et caresse comme une promesse.
Chaque femme se retrouve dans le film de Nadine Labaki. Caramel est plus qu’un film, c’est un récit de vies bien réelles. J’y ai trouvé, moi aussi, mon histoire.
http://www.bacfilms.com/site/caramel/