Speicher signifie en allemand à la fois le grenier (poussiéreux réceptacle de souvenirs inattendus) et la mémoire informatique. Dans l’exposition Objectivités au MAMVP (jusqu’au 4 janvier), après les salles où s’alignent l’une après l’autre les grands formats picturaux, on arrive soudain devant ce parallélépipède mystérieux, fermé mais plein d’interstices, comme l’unité centrale d’un méga-ordinateur, premier élément sculptural de l’exposition.
Jörg Sasse, que j’avais découvert il y a trois ans à Londres, travaille à partir de photos anodines, de lui ou trouvées, simples ‘esquisses’ à partir desquelles il construit des ‘tableaux’. Mais la construction montrée ici est infiniment plus complexe :
les photos sont numérotées selon un code complexe, des relations s’établissent entre elles, qui sont consignées dans un livre cabalistique (cliquez sur la photo),des séries se créent. Il y a ici 512 photos (2 puissance 9) et une vingtaine de séries possibles selon des thèmes très généraux. Le visiteur / acteur choisit un thème qui le conduit à une première photo, qui lui donne le choix d’une autre, puis encore d’une autre. Une série relationnelle se crée ainsi, s’affiche au mur, se construit entre règle et hasard, entre contrainte et choix. Ce n’est plus la série rigoureuse et prédéterminée des Becher, mais c’est néanmoins un algorithme, une règle dans laquelle le libre arbitre n’est pas nié.Tout autant qu’à une base de données relationnelle (topos vers lequel pointent les codes, le nombre d’images, l’algorithmisation du réel), j’ai pensé à la bibliothèque de Borges, telle qu’elle est revisitée aujourd’hui dans la culture internet.
De plus, le gardien en gants blancs qui sort les photos du Speicher (ou, le jour du vernissage, Sasse lui-même) est un acteur, un danseur, un officiant qui performe un rituel, un service, il y a là une dimension performative qui ne peut laisser indifférent; les mânes de Beuys sont tellement absentes de cette exposition. Il y a une histoire qui pourrait se raconter, au delà de l’apparence banale des photos, il y a une transposition, une transmutation du réel.Photographies de l’auteur. Jörg Sasse étant représenté par l’ADAGP, les photos seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.