Il est 9h20.
Autant dire que je ne suis pas très réveillée, dans le métro, ce matin. Je me laisse un peu ballotée par les mouvements de la rame, appuyée contre le strapontin relevé. Je remarque, devant les
portes, un vieux monsieur, entre deux âges. Cinquante ans bien tassés, peut-être soixante ? Je ne saurais dire. Il a une barbe négligée, un grand manteau, une vieille valise, sans âge, elle aussi.
Mais ce sont ses yeux qui m'intriguent. Bleus, métalliques, ailleurs. Ce n'est qu'en croisant le regard de ma voisine, plus proche de lui, qui lève les yeux au ciel se voulant complice, que je
percute qu'il est certainement SDF. Je le regarde mieux. En effet, la barbe n'est pad que négligée, le manteau est élimé, déchiré aux manches, usé à la racine. Je commence à comprendre le regard.
Il ne demande rien, ne parle à personne, ne regarde personne. Et pourtant, tout à coup, le temps de trois stations, j'ai envie de tout lui donner. Envie d'aller lui parler, lui toucher l'épaule.
Envie d'accrocher son regard. Je suis comme hypnotisée. J'ai un peu honte de le fixer, je ne voudrais pas que ce regard soit mal interprèté, ni par lui, ni par les autres. Alors je le regarde à la
dérobée, dans le reflet de la vitre, sans pouvoir décrocher. A l'arrêt suivant, Il se penche pour prendre sa valise, la cogne dans la porte. Elle a l'air légère, sonne creux. Vide. Comme son regard
à lui. Je le regarde s'éloigner, lentement, et on dirait soudain que la valise pèse une tonne. Et comme à chaque fois, je me dis "Et si ?" et le vide, c'est en moi qu'il se répercute.