Anthologie permanente : Mary-Laure Zoss

          en hiver les nuits sont très longues, elles commencent le matin on dirait, dans les lampes qui refusent de s’éteindre et boivent le blanc des murs, quand on les entend pas, ils demandent s’il y a quelqu’un dans la nuit, personne ne répond, on entend la pluie dans les carrés de choux géants et les champignons creusant le bois des barrières, sur la table de la cuisine, la mère compte les tartines pour chacun

          un bout de champ s’éclaire quand on allume la lampe du haut, c’est presque trop dire, un peu de gris dans l’obscur ou le relief de la nuit du sol, la lumière est pas pour eux, les yeux des morts ferment mal, ça manque tout le temps de quelque chose, ils savent pas quoi, les fourneaux sont froids quand ils se réveillent, le père se lève toujours en dernier, le matin ils pourraient pleurer entre leurs poignets blancs, quand les branches restent crues sous les pattes des mésanges, eux font des dessins sur la table de la cuisine, la mère sent les fruits pelés, la farine qui brûle sur les plaques, quelque chose refuse, comme la terre qui gèle au bout des chemins, les écailles de givre aux bords de leurs semelles

          on n’est là ni ailleurs, sans grands mots, que cette angoisse à effiler dans l’herbe fade – elle mange le bord où on marche, le temps dessous ne se ferme presque jamais tout à fait, on finit pas se tenir amoncelé contre soi, les bras pleins de pentes et de feuilles froides, personne ici pour vous surprendre, seulement les arbres où le ciel tarde à descendre, on durera moins que la terre molle sous les pieds, le bois mort dans l’eau des chemins.

Mary-Laure Zoss, Le noir du ciel, éditions Empreintes, 2007, Prix de poésie C.-F. Ramuz, 2007, pp. 27, 30 et 74

Bio-bibliographie de Mary-Laure Zoss

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