Séisme politique : 30% pour l’extrême droite

Publié le 08 octobre 2008 par Sylvainrakotoarison

La France a connu sa fièvre extrémiste en 2002 avec près d’un électeur sur cinq et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. L’Autriche la connaît depuis une dizaine d’années (comme la Suisse) et la température s’est abruptement aggravée.
Le dimanche 28 septembre 2008 ont eu lieu en Autriche, petit pays alpin au centre de l’Europe, des élections législatives anticipées pour choisir les 183 députés du Conseil National pour un mandat de cinq ans (avant, il était de quatre ans).
En effet, la grande coalition rassemblant les démocrates-chrétiens du Parti populaire (ÖVP) et les sociaux-démocrates (SPÖ) dirigée par le Chancelier social-démocrate Alfred Gusenbauer (48 ans) et par le démocrate-chrétien Wilhelm Molterer (53 ans), Vice-Chancelier et Ministre des Finances, a éclaté le 7 juillet 2008 à l’initiative de Molterer.
Grande coalition SPÖ-ÖVP
Le 11 janvier 2007, Alfred Gusenbauer succédait à Wolfgang Schüssel (63 ans) pour diriger un gouvernement de grande coalition à la suite des élections législatives du 1er octobre 2006 qui virent les deux principaux partis gouvernementaux, SPÖ et ÖVP, obtenir respectivement 68 et 66 sièges, incapables d’obtenir seuls la majorité absolue (92 sièges) malgré les 20 sièges des Verts.
Les grandes coalitions (sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens) sont traditionnelles dans la République autrichienne puisqu’elles furent privilégiées constamment entre 1945 et 1966, puis entre 1987 et 2000 (avec les Chanceliers sociaux-démocrates Franz Vranitzky et son successeur Viktor Klima).
Alliance ÖVP-FPÖ
Rappelons que le Chancelier démocrate-chrétien Wolgang Schüssel avait contracté du 4 février 2000 au 11 janvier 2007 une alliance gouvernementale avec l’extrémiste (populiste et xénophobe) Jörg Haider (58 ans), chef historique du FPÖ puis (à partir du 4 avril 2005 après une scission) chef du BZÖ.
Alliance qui fut largement contestée par les autres pays européens alors que le parti de Haider obtenait aux élections du 3 octobre 1999 presque 27% et 52 sièges (devançant de quelques milliers de voix l’ÖVP).
L'euroscepticisme, cause de la rupture de la grande coalition
Depuis un an et demi, les deux grands partis de la grande coalition n’ont jamais cessé de se quereller, entraînant la paralysie de réformes essentielles : fiscalité, éducation, santé… mais la pire anicroche fut au sujet de la politique européenne.
Alors que le Conseil National et le Conseil Fédéral (l’équivalent du Sénat en Autriche) avaient ratifié les 9 et 24 avril 2008 le Traité de Lisbonne (respectivement avec 151 voix contre 27 et avec 58 voix contre 4), le "non" du référendum irlandais du 12 juin 2008 semble avoir remis en cause le sentiment pro-européen des sociaux-démocrates d’autant plus que leur cote de popularité s’effondrait dans les sondages.
Pour réagir à cette impopularité, le SPÖ a remplacé le 16 juin 2008 son président, le Chancelier Alfred Gusenbauer, par le Ministre des Transports Werner Faymann (48 ans) devenu très rapidement la coqueluche des sondages avec son sourire permanent.
Et ces deux leaders, sans en parler à leurs partenaires démocrates-chrétiens, ont demandé à ce que toute modification du Traité de Lisbonne soit désormais ratifiée par référendum en Autriche.
Une position insoutenable pour l’ÖVP qui a refusé ce tournant eurosceptique et qui a donc décidé de rompre afin d’organiser des élections législatives anticipée.

Le 24 septembre 2008, Werner Faymann avait réussi malgré tout à faire adopter par le Conseil National quelques mesures sociales, parfois avec l’appui des Verts, parfois avec celui des populistes, sans l’accord de l’ÖVP, comme la baisse de la TVA sur les médicaments, la suppression des frais d’inscriptions à l’université, une augmentation des retraites et des allocations sociales.

Les élections du 28 septembre 2008
Les élections législatives du 28 septembre 2008 ont cependant été un désastre historique pour les deux partis de la grande coalition. Jamais les deux ne sont descendu aussi bas depuis 1945 tant en voix qu’en sièges.
Le SPÖ tombe à 58 sièges (-10) avec même pas 30% (29,7% soit une perte de 6%) et l’ÖVP s’effondre à 50 sièges (-16) avec 25,6% (-8,6%), en dessous de ses plongeons de 1994, 1995 et 1999 (52, 53 et 52 sièges).
Les Verts ont peu évolué, perdant un siège avec 19 élus (et perdant moins d’1% de leur électorat avec 9,8%).
Leur porte-parole, Alexander Van der Bellen (64 ans), avait indiqué avant les élections que les Verts étaient prêts à former une coalition tant avec le SPÖ qu’avec l’ÖVP. Il a été remplacé le 3 octobre 2008 par Eva Glawischnig-Piesczek (39 ans).
Les grands gagnants de cette consultation populaire, ce sont les deux leaders populistes.
Victoire historique des extrêmes droites
Jörg Haider pour le BZÖ (scission du FPÖ datant de 2005, je le rappelle) et Hans-Christian Strache (39 ans) pour le FPÖ.
À eux deux, ils ont ramassé 29,0% des voix et 56 sièges, répartis ainsi : 21 sièges pour le BZÖ (+13) avec 11,0% (+6,8%) et 35 sièges pour le FPÖ (+14) avec 18,0% (+6,8% aussi).
Ils ont dépassé leur précédent record de 1999 où le FPÖ avait obtenu 52 sièges avec 26,9%.
Si les deux partis étaient rassemblés, ils seraient le second parti d’Autriche après les sociaux-démocrates (de justesse) devançant largement les démocrates-chrétiens.
Mais au contraire, les deux partis sont en complète rivalité. Rivalité qui provient d’une rivalité de personnes entre un Jörg Haider qui commence à vieillir et un bouillonnant Hans-Christian Strache (devenu à 35 ans président du FPÖ au moment de la scission) dont le charisme est incontestable.
Strache estime qu’en quittant le FPÖ, Haider est un traître alors que ce dernier affirme que « rien ne remplace l’original » (un arrière-goût de Le Pen). Mais Strache réplique : « Nous sommes l’original et l’original a gagné, de manière claire. »
Strache n’a jamais caché son antipathie pour Haider qu’il comparait à un « Michael Jackson de la politique intérieure qui a tellement changé que ses proches ne le reconnaissent plus »
Pour preuve, leurs divergences pour capitaliser leur victoire.
Haider refuse de gouverner au niveau fédéral pour continuer à se consacrer à sa province de Carinthie.
Alors que Strache a fait des offres de partenariat au SPÖ arrivé en tête : « J’ai toujours dit qu’une coalition à deux partis est la variante la plus stable et celle qu’il faudrait préconiser. ». (Partenariat exclu par Faymann).
Encore le 30 septembre 2008, Strache a exclu toute alliance avec Haider : « Il n’y aura pas de réunification. »
Pourquoi cette forte fièvre extrémiste ?
Selon un éditorialiste autrichien, « les Autrichiens étaient furieux, à un point rarement atteint, et ils ont voté avec la colère au ventre »
Selon un universitaire viennois, le FPÖ et le BZÖ « ont su reléguer leur rhétorique xénophobe au second plan au profit des thèmes sociaux, qui sont apparus comme la première des préoccupations des électeurs »
Strache « incarne un vent frais et un souffle de jeunesse sur une scène politique autrichienne assez terne et cela a été très bien perçu par l’électorat jeune » alors que Haider « a endossé le costume d’un dirigeant modéré et responsable, qui met en avant ses réalisations en tant que gouverneur de la province de Carinthie »
En effet, la crise financière et l’inflation se font beaucoup ressentir en Autriche pour les classes moyennes et populaires.
Strache avait même revendiqué la paternité de la réduction de moitié de la TVA sur les médicaments votées à trois jours du scrutin. Il a obtenu un quart des voix chez les jeunes de moins de trente ans et a raflé le tiers des voix dans les quartiers ouvriers.
Haider avait remisé ses thèmes contre l’immigration au profit de solutions simples et chiffrées pour secourir les gens face à l’inflation.
Les deux partis d’extrême droite ont aussi bénéficié de la mesure qui s’appliquait pour la première fois à ces élections, à savoir le vote des jeunes de 16 à 18 ans qui représentent 3% de l’électoral (183 000 électeurs).
Ces deux partis se ressemblent aussi dans leur anti-européanisme, leurs polémiques sur leurs louanges du IIIe Reich et leur dénonciation de l’islamisation du pays (un slogan du FPÖ : « Vienne ne doit pas devenir Istanbul »).
Mais un autre politologue tempère le sens politique d’une telle victoire : « FPÖ et BZÖ ont aussi su capter le mécontentement vis-à-vis des partis au pouvoir, sans que tous les suffrages en leur faveur ne soient forcément motivés idéologiquement. »
Et après ?
Les deux partis gouvernementaux ÖVP et FPÖ ont tout de suite exclu toute coalition gouvernementale avec l’un des deux partis populistes FPÖ ou BZÖ.
Ce qui signifierait logiquement la poursuite de la grande coalition, mais avec des autres leaders.
C'est donc logiquement le nouveau président, Werner Faymann des sociaux-démocrates (arrivés en tête), qui a été choisi ce 8 octobre 2008 par le Président fédéral Heinz Fischer pour former le nouveau gouvernement.
Werner Faymann a annoncé qu'il commencerait les négociations avec l'ÖVP dès ce 9 octobre 2008 et qu'il comptait les finir avec succès à Noël 2008.

Mais le SPÖ avait exclu toute reconduction de la grande coalition si le peu charismatique Wilhelm Molterer (qualifié de « chef comptable ») restait à la tête de l’ÖVP.
Qu’à cela ne tienne. Dès le 29 septembre 2008, l’ÖVP s’exécute et remplace à sa présidence Wilhem Molterer par le jeune Ministre de l’Agriculture Josep Pröll (qui vient d’avoir 40 ans, il était ministre depuis cinq ans).
Était-ce cette perspective que souhaitaient les 6,3 millions d’électeurs autrichiens le 28 septembre dernier, une reconduction de cette grande coalition si chaotique et si impopulaire ?
Peut-être pas, mais une chose est sûre, c’est que si le scénario ne semble pas avoir changé, les acteurs, eux, ont changé :la cohabitation Waymann-Pröll paraît plus encourageante que la cohabitation Gusenbauer-Molterer (les deux hommes, Waymann et Pröll, se connaissent bien et ont travaillé ensemble dans le précédent gouvernement).
Encore que Werner Faymann n’eût pas exclu de constituer un gouvernement minoritaire qui chercherait des majorités de circonstance pour chaque projet, comme il a su habilement le faire le 24 septembre 2008.
La Commission européenne a pour sa part réagi timidement : « Nous espérons que l’Autriche restera un partenaire important et constructif de l’Union. »
Parenthèse franco-autrichienne
Remarque sur des considérations françaises et comparaison avec la vie politique autrichienne.
Si la France n’a pas de leçon de tolérance à donner à l’Autriche, car ses électeurs ont placé quand même Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 (deuxième force politique du pays, comme le FPÖ-BZÖ maintenant en Autriche), elle a certainement encore quelques leçons de vie démocratique à apprendre de l’Autriche, malgré les presque 30% de voix obtenues par l’extrême droite.
Certes, un parti gouvernemental (l’ÖVP) avait tenté avec le FPÖ ce qu’avait tenté François Mitterrand (en 1981) et Lionel Jospin (en 1997) avec les communistes : les impliquer dans l’action gouvernementale pour les affaiblir électoralement.
La stratégie de Schüssel avait même eu du succès puisque le FPÖ de Haider était passé de 26,9% en 1999 à 10,0% en 2002 (et 15,4% en 2006).
On peut en revanche se féliciter de la grande réactivité des deux grands partis gouvernementaux.
1. Possibilité de réaliser l'union nationale pour combattre les extrémismes (l'occasion ratée de Jacques Chirac en mai 2002).
2. Renouvellement rapide du personnel politique quand un leader n’est plus apprécié ou a assez duré. Le SPÖ a changé son président trois mois avant les élections et l’ÖVP s’est résolu à changer son président le lendemain des élections. Idem pour les Verts.
3. Âge jeune de la classe politique : Strache a 39 ans, Glawischnig-Piesczek 39 ans, Pröll 40 ans, Waymann 48 ans et Haider 58 ans (considéré déjà comme vieilli).
En France, depuis 2007, une nouvelle génération aussi est arrivée avec les candidats quinquagénaires Sarkozy, Royal et Bayrou et les ministres quadragénaires voire plus jeunes.

Mais il est fort possible que cette nouvelle génération dure… le temps d’une génération encore, comme la génération Chirac-Giscard d’Estaing-Jospin. Et les perspectives du PS ne sont pas meilleures entre les trois éléphants Delanoë, Royal et Aubry.
4. Le débat sur la nécessité de ratifier par référendum populaire les nouveaux traités européens est quasi-inexistant en France. Or, faire l’Europe contre les Européens n’a pas beaucoup de sens.
Demain, en Europe
Une vague d’extrémisme après une grave crise financière et des partis gouvernementaux incapables de s’entendre ensemble ?
Oui… cela peut faire penser à l’Allemagne du début des années 1930.
Si on n’y prend pas garde…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (8 octobre 2008)
Pour aller plus loin :
Résultats des élections législatives en Autriche (historique depuis 1945).
À propos de Kurt Waldheim.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=45511
http://www.lepost.fr/article/2008/10/14/1287995_seisme-politique-30-pour-l-extreme-droite.html