C’est une phrase que j’ai entendu à de nombreuses reprises lors d’un reportage à Aïn El Eloué. Aïn El Eloué est un camp palestinien situé à la sortie de Saïda, au sud de Beyrouth. Aïn El Eloué est un camp palestinien surnommé « la poudrière du Liban ». La raison ? Eh bien, le Fatah, le Hamas, le Jihad Islamique, les communistes et bien d’autres sont représentés sur une surface d’un kilomètre carré ! Plus de 60 000 personnes sur ce petit kilomètre carré.
Quand j’ai dit à mon entourage que je partais faire ce reportage, tout le monde m’a alors prévenu : tu vas en enfer, prépare toi ! Comme une jeune fille totalement naïve, je m’attendais à trouver des gens armés jusqu’aux dents, un endroit où l’odeur du sang vous prend les trippes, où les gamins sniffent de la colle dans tous les coins de rue… non je rigole, je ne m’attendais quand même pas à tout ça ! En tout cas, il n’en fut rien (enfin presque), mais j’ai toutefois côtoyé la misère de près, de très près.
Donc voilà, j’ai passé deux journées dans ce camp bétonné : pas d’arbre, pas de café, pas de jardin… où la seule raison de vivre de ces palestiniens réside dans l’espoir de pouvoir un jour rentrer chez eux, en Palestine. Quand j’émets un doute sur ce rêve, ils se braquent, me regardent de leurs yeux noirs et me répondent de manière ferme, qu’un jour, ils rentreront à la maison.
« Il n’y a pas écrit réfugié sur nos fronts », m’expliquait l’un d’eux. Ils en ont marre de vivre dans de ce labyrinthe de ruelles plus étroites et tortueuses les unes que les autres. Ils en ont marre d’être entassés à plus de 10 dans deux pièces. Pas de place pour agrandir les maisons, alors ils construisent en hauteur comme pour rejoindre ce ciel infini de grandeur et aspirer à la liberté.
Non ils ne sont pas prisonniers dans les camps, mais c’est tout comme. Au Liban, ils n’ont pas le droit de travailler à l’extérieur du camp. Et plus de 70 métiers leurs sont interdits. Ils ne peuvent pas non plus voyager et n’ont pas de papiers d’identité pour la plupart. « Nous ne sommes personne, nous ne sommes rien », s’indignait une étudiante en science sociale. Oui ils peuvent faire des études. Mais ne peuvent pas travailler, tout le paradoxe !
J’ai passé deux journées dans ce camp palestinien. Deux journées très planifiées par une ONG présente sur place pour aider les femmes palestiniennes à travailler, à avoir plus de place dans les foyers. Deux journées à courir de maison en maison, de responsable du Fatah en responsable du Hamas… Deux journées où tous mes interlocuteurs, sans aucune exception, m’ont déclaré qu’un jour ils rentreront chez eux, les yeux pétillants pour certains, humides pour d’autres. Ces derniers sont souvent nés dans ce camp et y mourront très certainement, ils veulent que leurs enfants ou petits enfants rejoignent leur terre. Ces deux journées ont été éprouvantes.
En fait, quand je suis rentrée lundi soir, j’étais bien. Je venais de rencontrer des responsables de partis politiques, j’avais discuté toute la journée avec des familles, leur avait apporté un peu de changement dans leur quotidien. J’avais l’impression d’être utile en rentrant chez moi lundi soir. J’avais l’impression que mon reportage pourrait les aider. Puis mardi, je suis allée voir des femmes palestiniennes qui brodent des vêtements, tout à la main, pendant des mois. Elles me racontaient que la plupart d’entre elles n’avaient pas de mari, et qu’elles ont presque toutes plus de 3 enfants, certains font des études. Puis dans la boutique, j’ai voulu acheter un petit porte-monnaie. Pour les aider, pour participer à ma manière à leur cause. En plus, il est beau ce porte-monnaie. Mais elles ont toutes refusé que je paie. Moi qui aie grandi dans une grande maison, moi qui avait un jardin, une enfance pas très difficile, moi qui aie pu faire des études, moi qui suis partie pour travailler, moi qui exerce ma passion, elles n’ont pas voulu que je paie 10 dollars pour ce petit porte-monnaie bleu ! J’ai insisté mais n’ai pas voulu leur dire que moi j’avais eu de la chance et pas elles pour justifier mon comportement. Elles m’ont fait un cadeau. Là, je me suis sentie mal. Jusqu’à présent, j’arrivais à n’être que témoin, mais à partir de ce moment là, cela a changé. Elles m’ont alors dit que, moi, j’allais les aider. J’ai alors répondu, très franchement, et peut-être même de manière un peu sèche, que je ne pouvais rien faire pour elle, que malheureusement je n’avais pas d’argent pour leur acheter l’ordinateur qu’elles voulaient, ni même un appareil photo. La responsable du magasin m’a alors regardée : « ton gouvernement va nous aider ». J’ai écarquillé mes yeux, doutant très fortement que mon gouvernement allait apporter son aide à des palestiniennes qui font de la broderie. Je leur ai dit que non, je ne pense pas que mon gouvernement allait les aider. Mais je n’ai pas développé mon idée.
A partir de cet instant, j’ai réalisé que tous ces gens que j’avais rencontré, tous ces gens qui m’avaient confié leur témoignage croyaient que moi, du haut de mes 23 ans, j’allais pouvoir faire quelque chose pour eux.
Pendant toute la fin de la journée de mardi, j’ai réussi à ne me positionner qu’en témoin. Mais une fois passé les barrages de camp, je me suis sentie envahie, étouffée. Besoin de marcher, de respirer, de prendre l’air, de voir le ciel et la mer…besoin de vivre tout simplement.