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Née à Paris le 24 mars 1930 d’une mère anglaise (Marion Cave) et d’un leader antifasciste italien exilé en France (Carlo Rosselli), Amelia Rosselli assiste au double assassinat de son père Carlo et de son oncle (Nello Rosselli). Traumatisée par ces morts violentes, survenues le 9 juin 1937 à Bagnoles-de-l'Orne (Normandie) à la suite d’un attentat commandité par Galeazzo Ciano et Mussolini, et organisé par un commando de neuf cagoulards, Amelia Rosselli reste psychiquement marquée à vie. Régulièrement accueillie dans des hôpitaux psychiatriques, Amelia Rosselli se voit aussi atteinte, à partir de 1969, de la maladie de Parkinson.
Après avoir effectué de nombreux déplacements entre l’Europe et les États-Unis, Amelia Rosselli s’installe en Italie en 1948. À Florence d’abord, puis à Rome. Elle partage son temps entre l’étude ― littérature, philosophie, mathématiques ― , la recherche musicale et la traduction. Elle traduit notamment les œuvres d’Emily Dickinson et de Sylvia Plath. Dans le même temps, elle se lie d’amitié avec Rocco Scotellaro (qui l’introduit dans le milieu littéraire romain), Carlo Levi, Niccolò Gallo, Renato Guttuso.
À la fois musicienne et poète, Amelia Rosselli commence à écrire en 1950. Elle poursuit l’objectif de « faire du poème une pièce poétique ». Dans son essai Spazi metrici, publié en 1962, Amelia Rosselli déclare n’avoir jamais dissocié, dans son travail sur la langue, problématique musicale et forme poétique. La recherche d’un langage universel qui coïnciderait avec la libération immédiate, à l’intérieur de la langue, des mécanismes psychiques profonds présidant à sa formation, aboutit à une sorte « d’esperanto émotif », à peine contrôlé par la conscience. Le poème « La libellula », écrit en 1958 et publié en 1969 dans le recueil Serie ospedaliera , rend compte de l’originalité de « l’expérience associative » à laquelle Amelia Rosselli est attachée. L’expérience privée d’un plurilinguisme « apatride » , associée à des lectures personnelles très poussées, contribuent à l’élaboration d'une écriture poétique très particulière, que Pasolini sera l'un des premiers à découvrir et à définir en la qualifiant d'« écriture de lapsus » lors de la publication (en 1963) de vingt-quatre de ses poèmes dans la revue littéraire Il Menabò. Cette poésie écrite-parlée rend compte, à la manière d’un décalque, du désarroi métaphysique qui conduira Amelia Rosselli au suicide, le 11 février 1996, à Rome, le jour même où Sylvia Plath s’était donné la mort (11 février), trente-trois ans plus tôt.
Les œuvres d’Amelia Rosselli ont d’abord été publiées dans des revues. Puis rassemblées dans différents recueils. Variazioni belliche voit le jour chez Garzanti en 1964. Viennent ensuite Serie ospedaliera (Il Saggiatore,1969) ; Documento (Garzanti,1976) ; Primi scritti 1952-1963 (Guanda, 1980) ; Impromptu (San Marco dei Giustiniani, 1981 ; trad. fr. Éd. Les feuillets de Babel, 1987. Traduction de Jean-Charles Vegliante) ; Appunti sparsi e persi 1966-1977 (Ælia Lælia, 1983) ; Diario ottuso (Empiria, 1996) ; Sleep. Poesie in inglese (Garzanti, 1992).
Terres de femmes propose ci-dessous deux poèmes écrits en français par Amelia Rosselli et récemment traduits en italien par Giacomo Cerrai. Ces poèmes, extraits d’« Adolescence » (Exercices poétiques 1954-1961) ont été publiés dans le recueil Primi scritti (Guanda, 1980).
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
I
Que c’est drôle je parle et je parle avec moi-même
en me disant que c’est beau le ventre le bras nu
d’une femme même d’un homme
et les énormes arbres du quartier gras.
Gentiment gentiment pousse-t’il la bicyclette
muette. Sa femme cherche une pharmacie elle est de très mauvaise
humeur il pousse la bicyclette-bonheur ;
bonheur bonheur retrouve-moi sous les pieds des géantes
marines aux pieds des géantes
femmes aux bras tendus flaccides
du quartier gros, promène-toi à la table avec la bouteille de bière
en face, brune.
(1954)
Che buffo io parlo e parlo con me stessa
dicendomi che bello il ventre il braccio nudo
d’una donna così come d’un uomo
e gli enormi alberi del quartiere grasso.
Gentilmente gentilmente spingi la bicicletta
muta. Sua moglie cerca una farmacia è d’un cattivo
umore lui spinge la bicicletta-felicità;
felicità felicità ritrovami sotto i piedi dei giganti
marine ai piedi dei giganti
donne dalle flaccide braccia tese
del quartiere grosso, vai a spasso alla tavola con la bottiglia di birra
in faccia, bruna.
II
maintenant tu t’en vas de la table de l’hôte
ça ne finira jamais cette promenade
poétique et les grandes palmes qui te regardent
de derrière un mur bas. La palme est haute
la maison-bureau plus haute encore elle sert de fond
puis les frondaisons lui piquent le toit et ensuite
le ciel qui ne dit jamais rien de superflu
car il parle par allusions. Les oiseaux pointus
montent la garde en couples sont appelés en mission
de quartier en quartier. Moi je tombe de sommeil
ne résiste plus m’en vais. Comment faire
sinon vivre jusqu’à en mourir jeune ?
ora te ne vai dalla tavola dell'ospite
questo non finirà mai questa passeggiata
poetica e le grandi palme che ti guardano
da dietro un basso muro. La palma è alta
la casa-ufficio ancor più alta essa serve da sfondo
poi il fogliame le punge il tetto e ancora
il cielo che non dice mai niente di superfluo
perchè parla per allusioni. Gli uccelli puntuti
montano la guardia a coppie sono chiamati in missione
di quartiere in quartiere. E io casco dal sonno
non resisto più me ne vado. Come fare
se non vivere fino a morirne giovane?
(1954)
Amelia Rosselli, Adolescenza, Esercizi poetici 1954-1961 in Primi Scritti, Guanda, 1980.
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