À la différence des recueils précédents (le n° 1 est épuisé), Juliau, six
porte en sous-titre la mention « poème installé ». Une installation
en trois volets, qui fait de Juliau, six
un triptyque: « SURJAUNE, INSTALLATION », « SURJAUNE, L'ŒUVRE », « SURJAUNE, DISSOLUTION ». Installation qui
se matérialise dès la première de couverture du recueil. Les lettres géantes ― SURJAUNE ― qui en façonnent l’enseigne,
s’inscrivent sur le profil de la colline Juliau. Installation qui trouve son
écho dans le texte lui-même : « les lettres mesurent 2 mètres de
haut et environ 3à centimètres de largeur et de profondeur » ― les échafaudages, « barres
de maintien » qui ont présidé à l’installation de SURJAUNE, façon néon de foire, annoncent cette « échafaudée
céleste » qui est aussi celle de la phrase. Installer le poème ―
« c'est venu comme une stèle » ―, c’est tenter une meilleure « lecture »
de la colline Juliau. Enclore Juliau dans un espace pictural, cadre et couleur,
c'est pousser les mots jusque dans leur retranchement. Vouloir percer une fois
encore le mystère de la langue, traverser sa résistance. C’est s’arrimer à
l’écriture sous un nouvel angle d’approche, « comme si écrire pouvait
mettre en phase un monde avec son écarté ».
Œuvre écrite, œuvre peinte, surimpression de l’une dans l’autre, imbrications
subtiles des deux ensemble ? Dans La Face nord de Juliau, six le poète,
qui se « rapproche du même fuseau programmatique que Paul Cézanne »,
cherche à superposer écriture et peinture. À intégrer la matière-texte dans
l'abstraction de la couleur. Pour forcer l'écriture à s’infléchir par la
peinture. La peinture peut-elle permettre au poète de cerner la réalité
multiple et insaisissable de Juliau ? L'abstraction de la couleur peut-elle
parvenir à absorber la douleur, à effacer les frontières du temps, les limites
de la connaissance, les échecs de l’écriture?
« la bouche ouverte du genêt
la couleur explicite, le poème muet »
Façonné par le paysage, « un paysage primipare », « un paysage sans loi », Juliau, six est un poème Land Art qui se modifie d'un volet à l’autre du triptyque, d’un tableau à l'autre, d’un poème à l’autre, entremêlant mots et couleur, couleur et matière, lumière et images. Images inattendues, déroutantes qui tentent de déjouer les interrogations-impasses sur le langage :
« Je confirme un silence sec et un refus de glossolalie ».
En Juliau, six, les textes se resserrent, la phrase se suspend, le poème respire. Les mots se densifient autour de la couleur. Une même couleur. JAUNE. Jaune remplace Juliau. Car « Jaune pousse puissamment. Puissamment est une piste pour l'œil, un phare à nuit.» Le nom de la couleur a effacé Juliau. Juliau se fond par métonymie (et par proximité phonique) à Jaune, le jaune du bois de genêts qui absorbe à lui seul l’ensemble du paysage. JAUNE « aux arêtes vivantes », « Jaune organique, au même titre que le genêt ». Jaune le nommé occupe l’espace de la page, devient acteur à part entière, concentre en lui toutes les forces, se charge de toutes les matières. SURJAUNE. « SUR comme dans surimpression, / de la matière oui mais en plus, / indurée par ajout ». « L’œuvre aborde les conditions qui permettraient de passer ». Avec SURJAUNE, la colline gagne provisoirement une « augmentation ». Provisoirement seulement, car l’œuvre est appelée à sa dissolution. Le poème comme la colline sont confrontés aux mêmes impasses, aux mêmes cassures et séparations, aux mêmes désossements. À la même dessiccation.
« La similitude d’écrire quand ce qui avance rayonne et s’obscurcit.
Le genêt biffé, le paysage mordu à la langue…
La diminution d’écrire »
La Face nord de Juliau, six, une mystérieuse et fascinante expérience
des limites.
…
« Le faufilement du paysage pour que la profusion jubile.
La colline raidie et simplifiéeLa hargne de la minceur jusqu’à la joie du trait
La hargne piégée de l’écriture. »
contribution Angèle Paoli
Nicolas Pesquès
La Face Nord de Juliau, six
André Dimanche Editeur
présentation de ce livre et de La Face Nord de Juliau, V, dans Poezibao