Dans une interview publiée dans Les Inrockuptibles n°671, Paul Moreira, journaliste d'investigation, revient sur les Etats Généraux de la presse lancés par Nicolas Sarkozy. Tout en refusant de conduire à l'adresse du Président de la République un procès d'intention[1] sur les velléités plus ou moins franche d'une déréglementation de la concentration dans le domaine de la presse, Paul Moreira n'en exprime pas moins son inquiétude. Derrière ce qui semble relever du décor - « les bonnes questions sont posées, les bons thèmes sont abordées. Mais quand on voit le Grenelle de l'environnement, près d'un an après, on voit que peu de réponses ont été données. Ces Etats généraux de la presse, c'est un sommet de Sarkolangue » - il dresse un diagnostique contradictoire entre l'état actuel de la presse française dont il estime qu'« on a affaire à une presse d'opinion aujourd'hui, les faits sont laissés de côté : les services d'investigation des journaux majeurs ont aujourd'hui été réduits à peau de chagrin » et les ambitions officielles qu'il redoute : « on va vers le contraire de ce qui est le libéralisme à l'anglo-saxonne, qui lui garantit à la presse son rôle de quatrième pouvoir. Non, sérieusement en France c'est un moment difficile pour les journalistes. »
Ce débat s'inscrit dans la perspective de la remise du rapport sur « Les médias et le numérique » par Danièle Giazzi, secrétaire nationale de l'UMP. Ainsi, le 26 mai dernier Nicolas Sarkozy signait à son intention une lettre de mission dans laquelle il précisait que le développement de l'économie numérique constituait l'une des priorités de son action ; le secteur des industries culturelles et de l'audiovisuel étant particulièrement concerné par cette mutation, le Président de la République, dans une conception toute jacobine du pouvoir de l'Etat, affichait que le Gouvernement devait appuyer les efforts de modernisations des acteurs économiques de ce secteur avec « une double préoccupation : promouvoir la diversité culturelle et encourager la performance économique ». On retiendra que la décision principale à cet égard avait déjà été prise et annoncée avec la création d'une direction générale des médias et des industries culturelles au sein du Ministère de la culture et de la communication dont la mission sera de définir le cadre de la régulation juridique et économique de ce secteur.
Bien sûr, le constat est là, le secteur des médias est en crise, la presse écrite en crise - les français ne lisent plus de journaux ? - la télévision et la radio sont en proie avec les effets du développement de l'Internet. La lecture de la synthèse du rapport de Danièle Giazzi rappellera aussi au citoyen lambda que nous sommes qu'il est peut-être temps de taire une parole manifestement délétère puisqu'elle nous demande de sortir de la béatitude numérique dans laquelle les français seraient plongés : « l'économie numérique est l'un des moteurs de la croissance mondiale ... mais cette transformation recèle aussi des périls propres : information Cocoon centrée sur les intérêts personnels de chacun, citoyens se prenant pour des journalistes, ... le risque est de mettre à bas des industries culturelles héritières de longues traditions »
Par cette mise en garde, la rapporteuse vise-t-elle le développement exponentiel des blogs[2], si c'est cela souhaitons-lui bien du courage, mais il est vrai que parmi le monde, nombre de pays comme la Chine, l'Iran ou la Russie ont montré que le développement de l'ère numérique et plus spécifiquement de l'accessibilité à l'Internet pouvait tout à fait s'accorder avec la maîtrise d'une politique de communication sans tâche. Alors, un ou deux exemple bien choisis peut amener beaucoup de citoyens par crainte à se demander si le jeu en vaut la chandelle. Gageons que la cible de l'approche du rapport est plutôt du côté des initiatives de médias dits « citoyens »[3] du type Agoravox en France, que je cite mais qui n'est pas la seule.
Pour mon compte, et puisque je me sens concerné par cette Information Cocoon, je dirai que je ne me suis jamais pris pour un journaliste, mais bien pour ce que je suis : un citoyen. Comme je dis un citoyen « lambda », comme les autres. Alors, mon regard est peut-être centré sur mes intérêts personnels[4] au détriment certainement de cet intérêt public dont on nous assomme pour mieux en masquer les milles et une facettes qui peuvent lui faire dire une chose et son contraire. Par contre, ce que je peux dire c'est que l'avènement de l'Internet ouvre un accès à une information, - que dis-je ? - à des informations innombrables qui étaient jusqu'alors bien gardées, calfeutrées pour ne pas dire dissimulées. Est-ce là le péril propre au développement de l'ère numérique que l'on semble craindre en hauts lieux ?
[1] Volonté clairement affichée que l'on comprend comme précaution rhétorique préalable du journaliste qui craint peut-être le procès en diffamation.
[2] « Entre décembre 2004 et décembre 2006, le nombre de blogs dans le monde est passé de 5,4 à 63,1 millions selon Technorati. La blogosphère a donc vu sa taille multipliée par plus de 11 en 2 ans. En octobre, ce sont 100.000 nouveaux blogs qui sont créés par jour, et 55 % de blogs seraient actifs, c'est-à-dire mis à jour à un rythme d'au moins une fois tous les trois mois » (source)
[3] A tous les grammairiens, je reconnais ici platement que cet usage est incorrect, mais je dirai aussi que l'histoire des langues montre et démontre que c'est l'usage qui créé la langue et la codifie dans la marbre de l'histoire et non l'inverse. D'aucuns préféreront l'expression de « médias alternatifs ». A ce sujet, on se rendra utilement sur le site de Alternative Media Global Project, site collaboratif qui recense les publications portant sur les médias alternatifs, et propose un panorama géographique et historique du phénomène à l'échelle mondiale
[4] A cela, je dirai que ceci n'est que le résultat du développement du libéralisme à tout crin et qui a fait croire aux citoyens que nous sommes que nous étions libres de penser et d'agir