Scène 18
Les mêmes plus la Petite Ourse, les gardes et les otages.
LA PETITE OURSE
Le théâtre est fini. Ma sœur, les mains en l’air !
LA GRANDE OURSE
Que ce beau nom s’enfuie de ton vocabulaire
Et devienne pour toi et pour la terre entière
Synonyme de traître et de vile guerrière.
LA PETITE OURSE
Malédiction ou pas, le pouvoir est à moi.
Que ce trône est joli ! Que je ressens d’émoi
A l’idée de m’asseoir sur son siège d’ébène
Et de là maltraiter mes très chers indigènes.
LA GRANDE OURSE
Tu ignores bien tout de l’art de gouverner.
LA PETITE OURSE
C’est un art, me dis-tu ? La façon de parler,
Tout au plus, chère sœur. (Désignant Fifi) Regarde celui-là :
D’un parfait gouvernant il a tout le blabla.
FIFI
Mes discours sont sensés, n’en déplaise à certaines
Qui n’ont que la grandeur d’une pauvre cheftaine.
CUNEGONDE
Bien répondu, Fifi. Je vous rends mon estime.
LANLAN (Désolé)
A présent de ma vie je ne donne un centime.
Tais-toi donc, gros lourdaud. Injurie-t-on la reine ?
(A la petite Ourse)
Majesté vous voyez comme là je le freine.
LA PETITE OURSE
Je le vois en effet. Même je te contemple.
Courtisans, mes amis, suivez donc son exemple.
Il excelle à baver, c’est un maître parfait
Qui saura vous montrer comment l’on satisfait
Les désirs de chacun. (A quelques ours) Emmenez notre sœur.
Dans un cachot très noir qu’elle épanche ses pleurs.
Et nous verrons bientôt à juger cette reine
Qui perdit le pouvoir mais trouva bien sa peine.
LA GRANDE OURSE (Emmenée par les gardes)
Tu seras à ton tour plongée dans les ténèbres.
La trahison toujours trouve un écho funèbre.
(Elle sort, encadrée par les Ours au béret jaune.)
UN AUTRE OURS
Et bien, que faisons-nous de son auguste troupe ?
LA PETITE OURSE (Pensive, s’asseyant sur le trône)
Pour l’instant, je ne sais. Laissez-moi réfléchir.
Il serait malséant de les faire périr.
Nous aurions sur le dos un monstre fou furieux
Prêt à prendre l’avion pour m’arracher les yeux.
L’OURS (s’approchant)
Et si de ces pingouins nous demandions rançon ?
Ce serait pour le monde une bonne leçon.
LA PETITE OURSE (Jetant un regard à Cunégonde, puis aux autres)
Mais alors il faudrait être très raisonnable
Sur le prix demandé.
L’OURS (Se grattant le menton, en regardant les otages)
C’est vrai. C’est invendable.
LA PETITE OURSE
Si l’on faisait un lot dans la vente aux enchères ?
On trouverait preneur.
L’OURS
Certes, mais trop peu cher.
LA PETITE OURSE
Qu’on les garde au palais comme décoration.
Je sais, ils sont affreux, c’est une aberration.
Mais ils savent, je crois, bien jouer* les potiches
Et ils seront parfaits déguisés en boniches.
CUNEGONDE
Je bouillonne de rage.
LA MADONE
Oh, l’infâme bestiole !
LANLAN
On s’en tire assez bien.
FIFI
La vieille patafiole !
DAKTARI
Qu’on me laisse un moment ma cape déployer
Et l’on verra comment je me laisse traiter !
LA PETITE OURSE
Que dit le bon docteur ?
ROSIE
Il vous trouve innommable.
DAKTARI
Mais je n’ai pas dit ça !
LA PETITE OURSE
Vrai, c’est impardonnable.
ROSIE
Il a même ajouté que vous étiez atroce.
DAKTARI
Elle ment, Majesté ! Crénom, la sale rosse !
LA PETITE OURSE (Menaçante)
Tu médis donc de moi ?
DAKTARI (en sueur)
Pas du tout, votre Altesse.
CUNEGONDE (Méprisante)
Allez, vous êtes bas.
LA PETITE OURSE (Aux gardes, désignant Daktari)
Bottez-lui donc les fesses,
Cela lui apprendra. Parle un peu mieux de nous.
ROSIE
Bien fait pour ton caquet, sinistre vieux matou.
(Alors que Daktari s’apprête à subir cette humiliation, une forte lumière apparaît, venant du plafond. Puis, une corde à nœuds tombe sur le plancher. Tout le monde lève la tête. Une silhouette en jeans et chemisier descend élégamment le long de la corde. Elle a encore sa guitare en bandoulière.)
(A suivre)