piratage
Riposte graduée : les manoeuvres
de Nicolas Sarkozy échouent
Le chef de l'Etat a demandé au président de la Commission
européenne d'intervenir pour retirer un amendement
gênant pour la future loi antipiratage. Sans succès.
Julie de Meslon, 01net., le 06/10/2008 à 18h40
Désormais les choses sont claires : le projet de
loi antipiratage du gouvernement est
véritablement menacé. C'est l'aveu fait indirectement par l'Elysée, en demandant au président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, d'intervenir en sa faveur. Selon Electron Libre
et
Libération , Nicolas Sarkozy a en effet écrit à José Manuel Barroso la semaine dernière, pour lui demander de retirer un
amendementpréjudiciable au
projet de loi « création et Internet », qui avait pourtant été voté le 24 septembre dernier par les eurodéputés. Sa requête a été officiellement rejetée par la Commission ce lundi
6 octobre.Le contenu de la
missive a été publié sur
Ecrans.fr. La demande de Nicolas Sarkozy était on ne peut plus directe :
« Il est notamment fondamental que l'amendement n° 138 adopté par le Parlement européen soit rejeté
par la Commission. Cet amendement tend à exclure la possibilité pour les Etats membres d'appliquer une stratégie intelligente de dissuasion du piratage »,réclamait le président de la
République.
« Je sollicite votre engagement personnel »
Pour rappel, ce fameux amendement « 138 » (1) a été déposé par les députés Guy Bono (PS) et Daniel Cohn-Bendit (Verts) lors de l'examen de la réforme de la réglementation européenne
des télécoms. Il vise à interdire qu'une autorité administrative restreigne les droits ou les libertés fondamentales d'un citoyen, sans faire appel à un juge. Son objectif est en fait de bloquer le
projet de
riposte
graduée français, puisque c'est précisément ainsi que devait opérer l'autorité « antipiratage » (
Hadopi)envisagée par le gouvernement, pour procéder
notamment à des coupures d'accès Internet des internautes pris en flagrant délit de piratage. L'amendement a été approuvé il y a deux semaines par une très grande majorité de députés européens, à
573 voix contre 74.Mais c'était en première lecture. La balle est aujourd'hui dans le camp du Conseil européen, qui doit à son tour discuter du texte le 27 novembre. La Commission,
elle, peut effectuer de légères modifications de forme après le passage au Parlement, mais ne peut vider le texte de sa substance, surtout sur des points adoptés aussi largement par les députés. Ce
qui n'a pas empêché Nicolas Sarkozy d'en « toucher un mot » à José Barroso :
« Pour écarter l'amendement, je sollicite votre engagement personnel et celui de la Commissaire
en charge du dossier, qui connaît particulièrement la situation des créateurs puisqu'elle était présente cette année encore pour les défendre, à vos côtés, au festival de
Cannes », insistait-il dans sa lettre.
La Commission refuse
Sans surprise, le député Guy Bono critique vivement le procédé du président de la République :
« C'est oublier un peu rapidement que le Parlement européen est profondément
attaché au respect des libertés fondamentales et qu'il ne se laissera pas faire. Je redéposerai moi-même l'amendement 138 en deuxième lecture dans tous les cas », affirme le
député dans un communiqué de presse. En effet, même si la Commission et le Conseil suppriment l'amendement, rien n'empêche les eurodéputés d'y revenir par la suite. Une réintroduction semble même
inévitable, puisqu'ils l'avaient plébiscité en première lecture.Mais lors de sa conférence de presse de milieu de journée, la Commission européenne a fait savoir ce lundi qu'elle ne donnera pas
suite à la requête du président français. En y mettant les formes :
« La Commission comprend que cette affaire soit de haute importance politique en France, où une législation
est en préparation. (...) Pour la Commission, cet amendement est un recadrage important de principes généraux inhérents à la réglementation de l'UE, en particulier les droits fondamentaux des
citoyens. (...) La Commission européenne invite le gouvernement français à discuter de l'amendement 138 avec les ministres des 26 autres états membres [le Conseil européen,
NDLR]
».La Commission a tranché : elle ne compte pas intervenir avant le passage au Conseil, conformément à la procédure de codécision qui régit la législation européenne.
Il faudra donc convaincre les membres du Conseil européen, dont le président est, depuis juillet dernier... Nicolas Sarkozy.
(1) Amendement 138 au « Paquet télécom », adopté en
première lecture par le Parlement européen le 24 septembre 2008 : « ...aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux sans
décision préalable des autorités judiciaires, notamment conformément à l'article 11 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne concernant la liberté d'expression et d'information,
sauf lorsque la sécurité publique est menacée, auquel cas la décision peut intervenir ultérieurement ».