Un article de Denis Ettighoffer intitulé "la folie douce des foules numériques intelligentes" me fait effectivement réfléchir sur cette notion un peu rebattue d'"intelligence collective".
J'ai l'impression effectivement qu'on confond souvent intelligence et mémoire. Une foule est plus "intelligente" qu'une personne isolée au sens où elle peut contribuer à lui rafraîchir la mémoire si elle se sent solidaire de lui, comme cela arrive dans les jeux télévisés. Mais lorsqu'une foule informe se met à "réfléchir" collectivement, elle produit en général un tissu d'inepties. cf Hannah Arendt.
On voit ça sur internet. Que propose l' "intelligence collective" de la communauté mondiale des internautes, sans distinction de compétences ou de pratiques? Ou en d'autres termes, que pousse-t-elle devant nos yeux via Digg, les blogs etc? Essentiellement des contenus émotifs assez primaires: des clips, des bizarreries parfois franchement voyeuristes, des plaisanteries plus ou moins graveleuses, des commérages sur les vies de star... Le maître mot est fascination, au sens étymologique du terme. Le fascinus, c'est le sexe mâle dressé dont on a du mal à détourner le regard. C'est le ressort principal de la télévision de masse: pourquoi en serait-il autrement sur Internet?
Quand on commence à structurer des communautés humaines sur des critères d'objectifs, de compétence et de sens de l'action, cela devient un peu différent. C'est toujours en majorité ce qui fascine qu'on pousse vers l'autre, mais dans un registre plus élevé, plus sélectif, plus civilisé. On n'est plus au niveau des émotions primaires, car les communautés se créent précisément pour permettre à leurs membres de s'en dégager afin de partager une interprétation commune d'une situation, voire de créer du sens. Et ces communautés comprennent bien que cela exige des rituels, des codes, des lois qui permettent précisément l'élévation de la pensée. "Et ils découvrirent qu'ils étaient nus" dit la Genèse.
Le maître-mot est celui du sens, comme dit Denis Ettighoffer, que j'ai du mal pour ma part à distinguer de celui de confiance, (voir mon livre ) qui est fondé à la fois sur une notion de pratique commune et de bienveillance. Lorsque des hommes se réunissent en communauté autour d'un domaine de connaissance qu'ils cherchent à creuser ensemble, alors peut émerger une forme d'intelligence collective où l'on essaie de résoudre ensemble des problèmes complexes.
On peut ne pas croire à l'intelligence des foules tout en
reconnaissant une intelligence dans les communautés. La foule, la
masse, c'est ce qui reste quand les communautés et le lien social ont
disparu, et que les hommes se mettent à errer sans boussole. C'est
alors que peuvent se mettre en place les systèmes totalitaires.
" Si vous désirez la sympathie des foules, il faut leur dire les choses les plus stupides et les plus crues" - Adolf Hitler.
Incidemment, je crois bien que cette perte du lien social est le problème le plus grave de notre pays, et qui engendre cette tentation totalitaire larvée dont on voit des indices un peu partout.
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Posté par : jeremy dumont
Source : mopsos blog