J’ai peu parlé pour l’instant de l’idée du Conseil de l’Europe de travailler sur la mise en place d’un itinéraire culturel consacré aux Roms.
Lorsque je me trouvais en Italie, j’ai pu mesurer de plus près la manière dont cette question était posée par les uns et les autres – je veux dire la droite comme la gauche - de manière ou brutale ou caricaturale. Non seulement il ne s’agit pas d’une question éthique, mais d’un argument politique pur et dur instrumentalisé à plaisir, mais plus encore la manière dont la question est présentée est englobante et place sur le même plan des émigrants, des citoyens européens en voyage et des populations déplacées plus ou moins manipulées par des groupes organisés.
Tout en un.
Ce n’est de fait pas une idée neuve de penser à un cadre culturel. Le thème des Tsiganes est apparu dans la liste des itinéraires culturels en 1994, mais sans aucun autre aboutissement que le patronage de quelques festivals.
Aujourd’hui j’ai bien compris qu’il s’agit d’une priorité politique, donc d’une mesure à mettre en place en dépit de tout et surtout du manque d’argent pour faire face à un enjeu difficile, pour aborder un monde complexe que le Conseil de l’Europe connaît de manière assez théorique au travers de nombreux relais qui ont peu à peu tendance à s’institutionaliser, donc à se couper de la violence du réel.
Mais un itinéraire est tout sauf un arrangement administratif ou une mesure visant une certaine paix dans l’âme de fonctionnaires cherchant à trouver une gouvernance là où elle n’existe pas.Donner une image positive, certes, mais une image qui doit faire face à un ensemble de cultures bouleversées dont certaines ont abouti à l’occupation de métiers spécifiques ; métiers d’appoint, expressions temporaires dans le domaine musical, dans la danse, dans l’artisanat.Mais comment donner une image qui ne soit pas seulement romantique ou seulement historique ? Comment trouver les bons médiateurs ; ceux qui savent que le dialogue prend des formes détournées où viennent se mettre en place des partenaires dans des interstices où des cinéastes, des hommes de théâtre, des opérateurs artistiques savent créer le point de fusion où tout devient possible.
J’ai néanmoins participé à la réunion qui a eu lieu le 17 mai dernier à Strasbourg et dont la bonne volonté était évidente.J’ai pris en compte très vite que le refus de devenir expert sur cette question était pour moi personnellement et pour l’Institut que je dirige une priorité dans les conditions de romantisme fabuleux que peut générer parfois une institution internationale.
Peut-on manier ainsi sans précautions une question explosive qui nécessite des mois d’approche tranquille et sérieuse, nonobstant les urgences, de l’Italie à la Fédération de Russie ?
« Les Roms abandonnés sur le bord du chemin » titrait Courrier International à l’approche de le conférence de Bruxelles centrée sur ce thème, après y avoir consacré il y a cinq ans au moins un remarquable numéro spécial.
Le même magazine ajoutait, plein de justesse : « Pour les 4 à 12 millions d’Européens désignés en général sous le nom de Roms ou de Tsiganes, la vie se résume à ceci : ils sont parqués dans des zones qui les placent physiquement et psychologiquement en marge d’une existence normale, tandis que le fossé qui les sépare de la modernité se creuse au lieu de se réduire….A mesure que la prospérité gagne l’Europe de l’Est, les Tsiganes sont de plus en plus laissés au bord de la route. Leurs savoir-faire traditionnels (artisanat, maquignonnage) sont dépassés. Même ceux qui sont disposés à travailler ne trouvent guère d’employeurs. L’adhésion à l’Union Européenne (UE) a alourdi la bureaucratie, jusque dans les activités où ils excellent, comme la récupération des métaux. »
N’est-ce pas là justement où se place aujourd’hui la route : là où l’activité traditionnelle se confronte à la modernité. Sur ce fil du rasoir où se situent bien d’autres itinéraires culturels qui montrent des activités qui continuent elles aussi à se frayer un chemin entre histoire, mémoire et modernité ?
N’est-ce pas dans cet écart que l’on pourrait travailler, plutôt que de réunir, une fois de plus les mêmes experts et les mêmes organisations qui connaissent les dossiers, mais ne peuvent trouver l’issue pratique d’un itinéraire qui se construit fort justement par le voyage de la culture dans le temps et l’espace.
Si la Commission Européenne entend une demande financière du Parlement Européen à la hauteur de l’enjeu et y fait face, alors peut-être pourra-t-on revenir sur une idée forte, dans le contexte d’une idée neuve.
D’ici là, continuons à célébrer…et à parquer. La musique tsigane et la danse andalouse sont tellement exotiques !