Il préfère se faire appeler Fred*. Fred a 34 ans, il est cadre à Sophia Antipolis. Il invente et met au point des semi-conducteurs, ces petits composants de plus en plus miniaturisés qui pullulent dans nos téléphones portables. Pour lui, les choses bougent pas mal ces dernières semaines au boulot.
Ce printemps il travaillait avec ses 350 collègues, pour la multinationale européenne NXP Wireless. Cet été, son propriétaire (un fonds d’investissement américain purement spéculatif) décide de se séparer de la division dont Fred dépend. C’est le groupe franco-italien ST Microelectronics qui reprend 300 employés -lui avec-, et leurs locaux. Fin du premier acte. Episode à venir : la nouvelle société, baptisée ST-NXP Wireless devrait être mariée l’an prochain à Ericsson Mobile Platform, autre entreprise du même secteur, mais suédoise. On dit que le marché est en cours « de consolidation ». De quoi surtout ne plus savoir où l’on travaille !… et devenir un brin paranoïaque.
« un syndicaliste anonyme »
Fred est aussi délégué syndical CFE-CGC de son établissement. Et il le reconnaît lui-même, parler aux journalistes le rend « parano ». Avant tout contact, il exige de son interlocuteur un engagement écrit du respect de son anonymat, communique difficilement son numéro de téléphone portable. Refuse de diffuser largement ses communiqués de presse… Paradoxal : le syndicaliste protégé par la loi, ne se fait généralement pas prier pour parler au micro ! « C’est une histoire de fou » déplore un journaliste local. « En 15 ans de carrière, je n’ai jamais vu ça. »
La peur du web
Fred s’explique : « Cela n’a rien à voir avec ma hiérarchie… je ne tiens simplement pas à retrouver mon nom sur le web, dans un article, en vidéo ou autre. Dans un secteur d’activité comme le nôtre, assez fermé, c’est très discriminatoire : avant tout recrutement, les DRH (directeurs des relations humaines, NDLR) googlent systématiquement le nom d’un candidat. » Et le jeune ingénieur compte bien ajouter encore quelques lignes à son CV. « De toute façon il est aujourd’hui clairement illusoire d’espérer réaliser toute une vie professionnelle dans la même boîte ! » Fred évoque le cas d’un collègue syndiqué en Normandie, et cité contre son gré aux nouvelles du soir. « Sur le marché du travail, plus moyen pour lui de retrouver un poste intéressant » assure-t-il. « Dans ce type de secteur très pointu, il y a une certaine culture anti-syndicaliste. » Les multiples fusions/acquisitons soumises à son entreprise ne l’incitent pas non plus à la prise de risque…
*le prénom a été changé
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