C'est en fait un double scandale que constitue la réincarcération de Rouillan.
Le premier est la campagne haineuse de la presse à son encontre. Allumant une télévision, une radio, on entendra ceci : "Rouillan a déclaré qu'il ne regrettait rien".
Nous invitons nos lecteurs à lire son
interview à l'Express : on ne trouvera rien de tel! Voici ce que déclare Rouillan : "Je n'ai pas le droit de m'exprimer là-dessus... Mais le fait que je ne m'exprime pas est une réponse.
Car il est évident si je crachais sur tout ce qu'on avait fait, je pourrais m'exprimer. Mais par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan
critique."
Et il affirme par ailleurs que ce que lui et ses camarades ont entrepris dans les années 70 n'est plus à l'ordre du jour.
Alors pourquoi cette réincarcération? Soyons clair, c'est un pur délit d'opinion qui est reproché à Rouillan.
Voici un homme qui sort de prison et qui jette un regard lucide sur le monde qu'il découvre :
"Dans les années 50-60, le gros de la société était fortement politisé. Un militant socialiste pouvait sortir une analyse politique. Aujourd'hui, j'ai l'impression que le marxisme, toutes les
théories qui nous permettaient d'appréhender les situations, ont été oubliées. Certes, les situations ont considérablement évolué, mais, en même temps, elles gardent leurs bases fondamentales:
nous sommes dans une société de classes, nous sommes dans une société où le conflit impérialisme/anti-impérialisme est crucial. On se perd dans l'aide aux pauvres, à ceux qui souffrent... Non,
les pauvres, ceux qui souffrent, les exploités et les opprimés sont des pro-lé-taires! Aujourd'hui, il faut bosser énormément pour convaincre les gens de la réalité du système. Si vous allez dans
une cité pour parler de religion, vous aurez plus d'attention que si vous venez parler d'oppression, d'exploitation de classes. Cela vient de la dépolitisation qui a été inscrite dans ces couches
populaires, cette pression médiatique terrible qui a rendu toute tentative d'analyse des situations has-been. On a tout résumé à des images d'Epinal assez ridicules. C'est angoissant quand on se
balade dans les rues de Marseille de voir le nombre de portraits de Che Guevara. Un Che lessivé de toute conscience politique. Un Che transformé en icône marketing."
Et qui réaffirme ce qui est de son point de vue assez logique :
"l'Etat s'y prépare avec des programmes contre-insurrectionnels qui vont jusqu'à l'utilisation de drones... Que fera-t-on, à ce moment-là, en tant que révolutionnaires? Appeler à voter
Besancenot ou amener d'autres pratiques? (...) Mais en tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un moment du processus révolutionnaire est nécessaire."
On peut être d'accord ou pas avec ces affirmations. Mais si affirmer que le renversement de l'ordre social ne peut se faire que dans la violence au pays de la révolution française, dans
un monde dominé par une Amérique dont la constitution pose comme principe la nécessité du soulèvement contre la tyrannie et l'oppression, c'est extraordinaire et honteux!
Et voilà bien le second scandale : la position des dirigeants du futur "nouveau parti anticapitaliste" d'Olivier Besancenot. Une fois assuré un "service minimum", c'est-à-dire de s'élever contre
l'incarcération de Rouillan, ils martèlent leur désaccord aveclespropos de Rouillan, Alain Krivine - quel retournement ! - exigeant pour sa part que Rouillan se renie avant d'entrer au NPA. Et
puis, pas un mot sur qui sont les censeurs, notamment les prtisans d'une intervention en Afghanistan qui a fait bien plus de morts que les opérations d'Action Directe.
La vérité est sans doute que les propos de Rouillan sur le NPA sont resté en travers de la gorge de cespoliticiens d'extrême-gauche qui veulent être "respectables" . Echantillons assez savoureux
: au journaliste qui l'interroge sur la condamnation par Besancenot de la violence d'Action Directe, Rouillan rétorque malicieusement :
"Et en même temps, il se dit guévariste. C'est un petit peu paradoxal!"
Sur le fait que le futur parti de Besancenot ne se nomme pas révolutionnaire, Rouillan lâche :
"Ce serait une démission. Le mot "révolution" signifie toujours "affrontement". Avec la bourgeoisie, avec le gouvernement... Si on crée un instrument de lutte en renonçant à ce terme, cela
signifie que les choix sont faits: le NPA serait un petit parti électoral."
Bref. Le crime majeur de Rouillan, c'est de n'avoir pas été brisé par la prison, et le voilà doublement ostracisé pour cela. On ne prendra même pas la peine ici de se démarquer d'Action
Directe, c'est hors-sujet, la vérité est que la réincarcération de Rouillan dévoile l'abominable police de la pensée qui sévit dans notre pays et qu'il faudra tôt ou tard, ainsi qu'une camisole
de force intellectuelle, mettre en lambeaux.