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Et le monde fut avalé comme une vulgaire mouche

Publié le 06 octobre 2008 par Didier54 @Partages
Il entendit cette phrase à la radio avant d'avoir pu dire ouf.
Leur vieux monde est au bord du gouffre disait un érudit. La voix calme.
Il n'entendit, après ces mots, que l'immense Baoum du monde qui tombe dans le gouffre.
Il arrêta sa voiture. Solaire, la voiture. La première chose qu'il remarqua, maintenant que le vieux monde avait chu, c'était que le soleil continuait de briller. Enfin, briller, c'est une expression. On était en hiver. Le ciel était bas et gris. Mais il faisait jour. Il fut surpris que la fin d'un monde fut à ce point si peu différente de la seconde qui précédait cette fin. Pour un peu, il aurait pensé qu'il ne s'était rien passé. Or c'était dit, écrit même : la fin du vieux monde approchait et il en était maintenant témoin, le vieux monde, à force d'être au bord du gouffre, avait fini par tomber dans le trou, avalé comme une vulgaire mouche par une bouche accaparée par ailleurs. Mince, il se dit. J'ai oublié mon portable. Il eut en effet envie d'appeler son épouse, à la maison restée, pour l'informer que ça y était, le vieux monde était tombé.
Il s'alluma en lieu et place une cigarette, ne voyant rien dans le trou noir, peinant à imaginer que le vieux monde était tombé là. La cigarette le rendait pensif. Il s'étonnait, par exemple, que le vieux monde ait précisément choisi cet endroit ci et ce moment là pour basculer dans le gouffre. De même, il s'étonnait plus encore d'avoir été lui-même à cet endroit ci et à ce moment là pour la bonne et simple raison qu'il n'avait absolument aucune raison, justement, d'être là. Il actionna mentalement sa mémoire, cherchant à comprendre comment tout l'avait finalement amené au bord du gouffre du vieux monde. Peut-être, osa-t-il penser, est-ce le baoum qui m'a attiré ? Peut-être qu'un Baoum, c'est comme des ondes, comme une tornade, ça attire tout ce qui traîne autour. Là-dessus, il écrasa son mégot et regarda avec plus d'attention le bord du gouffre. Tout le bord. Tout autour du bord. Et il vit qu'il était seul. Et il sentit qu'un silence particulier s'était installé. Ca lui rappelait l'année de l'éclipse du soleil. Ce trou noir qui avait surgit en plein milieu d'une journée. Quelques instants avant l'évément, il avait observé que tous les animaux s'étaient tus. Que plus un bruit n'accompagnait le compte-à-rebours. L'éclipse avait eu lieu. Et les bruits des oiseaux, des insectes, les murmures qui emplissent le silence étaient revenus, les uns après les autres, comme si de rien n'était. Là, c'était différent. Il calcula. Une cigarette, c'est cinq, six, sept minutes. Normalement, les bruits auraient dû revenir. Il tendit l'oreille. Toujours rien. Quelques instants plus tôt, il envisageait de se frotter les mains, se disant, bien, le vieux monde est tombé dans le gouffre, et si on reconstruisait un nouveau monde ? Ce on lui allait bien. Ca fleurait le collectif. Ca laissait augurer un ensemble. Mais ce silence contrariait ce on. Ne lui donnait aucun espoir. Il eut alors peur. Trés peur. Putain, il se disait, si ça se trouve, il n'y a plus personne. Plus d'humains. Sauf moi. Je suis tout seul. Il en frémissait, n'osant croire cette pensée, mais ne réussissant aucunement à la trouver saugrenue. Il étai maintenant pétrifié. Se trouvant pas trés malin avec d'un côté un vieux monde dans son gouffre tombé et de l'autre un nouveau monde inconnue et soudainement effrayant. Presque plus effrayant que le vieux monde, pour tout dire. Carrément flippant, même. Il n'en finissait pas de se maudire d'avoir perdu son portable. Ses phrases commençaient toutes par merde, merde, merde. Ses fesses avaient fini par trouver refuge sur le capot de la voiture. Il était maintenant bras ballants. Le Baoum ne semblait être qu'un mauvais souvenir. Qu'un souvenir. Il doutait du coup de son existence. Se demandait s'il n'avait pas un peu trop vécu cette phrase entendue. Cette phrase, peut-être bien, qui avait tout déclenché. Il ne savait pas. S'il avait envie que ce vieux monde soit réellement tombé dans son putain de gouffre. Ou s'il devait partir à l'assaut du nouveau monde. C'est alors que son portable sonna.

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