Chantal Sébire ne serait pas morte naturellement » : voici le titre de la une du Figaro Internet daté du 21 mars à 12h50. Il s’agit d’un fait divers qui défraie la chronique de ce mois de mars : Madame Sébire, souffrant d’un esthésioneuroblastome depuis 2002, demandait à ce que la loi Leonetti encadrant les procédures médicales autour de la fin de vie soit modifiée. L’histoire de cette femme est racontée à cette adresse.
Ce qui m’a intéressé, au delà du simple aspect « fait divers », c’est le mélange société/droit/technologie qui est discuté, et les usages et opinions proposés. Par exemple, l’avocat de Mme Sébire, Mr Gilles Antonowicz, compare un cocktail lytique (ie des barbituriques) avec un révolver, deux objets technologiques connus. Il fait ce rapprochement par le droit, et voici son argument :
- la loi permet de poursuivre toute personne qui inciterait au suicide
- la loi ne permet pas de poursuivre une personne qui aiderait une autre à se suicider (comme par exemple prêter un revolver)
- si un médecin prescrit des barbituriques à une personne qui veut se donner la mort, devrait-il être poursuivi ?
- on ne peut en aucun cas dire que Mme Sébire aurait été incitée à se suicider, étant donné qu’elle réclamait à la loi de permettre à son médecin de mettre fin à ses jours
- devrait-on poursuivre un médecin qui se trouve dans ce cas ?
et sa réponse est : non, bien sur.
Je me rappelle (bon, le terme est fort, j’étais un peu jeune, et je ne l’ai eu qu’une fois entre les mains), le livre « Suicide, Mode d’Emploi » co-écrit par Claude Guillon et Yves le Bonniec qui avait fait scandale en son temps, interdit parce que précisément, il s’agissait selon les censeurs d’interdire une incitation au suicide. Le chapitre 10 de ce livre donnait un certain nombre de recette, médicamenteuses entre autres, permettant de se donner la mort.
Face à ces mouvements sociétaux, le comportement de nombreux médecins face à la mort est assez normal : d’un coté, ils comprennent parfaitement la demande des patients de mettre fin à leurs souffrances, d’un autre coté, le serment d’hippocrate indique qu’ils sont là pour conserver la vie. Une souffrance de fin de vie rallongée par un « acharnement thérapeutique » ou tout au moins une amélioration thérapeutique (je dirais même une technicisation des accompagnements thérapeutiques, enfin bref) devrait être raccourcie si il n’y a aucun moyen de guérir !! Mais la formation éthique, ou tout au moins le conditionnement des médecins ne permet pas celà.
La technicisation des soins médicaux, l’amélioration de l’accompagnement à la douleur, l’accompagnement psychologique, tout peut être fait, lorsqu’on peut être soigné, pour qu’on le soit. Nous avons un niveau de confort de santé incroyablement élevé, et il nous faut régulièrement questionner nos aieux pour nous en rendre compte. Bref, il semble normal à une personne en fin de vie, qui souffre et veut mourir, que le corps médcal qui l’a accompagné tout au long de sa vie, l’accompagne également dans sa mort.
Jusqu’à présent, rien que de très normal. Personnellement, je m’étonne plutôt du traitement de la question même de la mort. Jusqu’à récement, la mort était considérée à travers un prisme religieux ou tout au moins de croyances plus ou moins assumées. Mais après un long apprentissage, peut être pas encore fini, notre société laïque traite la mort de façon laïque précisément. Il n’y a qu’à regarder cet excellent web-documentaire thanatorama pour se rendre compte qu’il est possible aujourd’huui de parler de façon dépassionnée de la mort telle qu’elle. Et sur Internet, les échanges, les auto-publications, la « liberté de parole » font que le lecteur se fait une opinion sur des sons de cloches très divers. La société traite alors la question de la mort de façon différente, les non-dits se perdent (un peu), et les discussions sont plus ouvertes. Chacun vit, lorsqu’il se trouve face à la mort, avec ses craintes, ses démons, mais la vision occidentale de la mort change.
Tout medécin, face à l’euthanasie, se retrouve aussi confronté à ses propres frayeurs. En tant qu’homme, il lui est alors difficile d’avoir une position cartésienne : qui devrait bénéficier de l’euthanasie, et qui peut encore être sauvé ? Comment peut-on penser de façon détachée le soin apporté à des patients en fin de vie, surtout si le choix médical conduit à la mort ? S’il n’y a pas de terrain législatif qui lui permette de pratiquer en toute conscience, quel choix peut-il faire ? Peut-il avoir le courage de décider de la mort technologique d’un patient ?
Il est des terrains ou la réflexion scientifique n’apporte aucun soutien …
Dans le cas de l’euthanasie, un grand pas est encore à franchir. Pas tellement pour déterminer si oui ou non, l’euthanasie est une option sociétale, morale, légale qui devrait être envisagée. Mais plutôt pour faire rentrer cette nouvelle façon, moins passionnée, de considérer la mort dans nos sociétés. De comprendre l’homme différemment, comme un animal technologique qui a besoin de la technologie, pour vivre et mourir. D’accepter que les changements sociétaux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui agissent et modifient les pratiques médicales. Entre autres …