Barjavel était-il créationniste ?

Publié le 05 avril 2008 par Scienceblog
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e me suis rendu il y a quelques semaines à une conférence à la faculté de médecine de Dijon. Un certain professeur Pierre Rabischong, un professeur émérite d’anatomie de la faculté de Montpellier y présentait une théorie « entre le darwinisme et le créationnisme » : le programmisme.

Darwiniste convaincu, le sujet me paraissait intéressant à plusieurs titres.

  • Premièrement, le fait que cette conférence ait lieu à la faculté de médecine pouvait mettre la puce à l’oreille. Depuis quand discute-t-on d’évolution à la faculté de médecine ? Un passage piéton plus loin, en faculté de Biologie, on trouve quelques éminences grises de l’écologie évolutive ! Peut-être depuis qu’un professeur d’anatomie parle d’évolution…
  • Deuxièmement, le titre limite provocateur ne se dissimulait pas derrière quelques titres fumeux. Réunir l’un à coté de l’autre les mots « darwinisme » et « créationnisme » ne portait pas à confusion.


Au passage, le professeur Rabischong a passé une bonne partie de son temps à stigmatiser le darwinisme et à se déclarer non-créationnisme alors qu’il se situe, d’après l’intitulé de sa conférence, entre les deux. Il semble tout de même que le barycentre soit fortement éloigné du darwinisme. En matière de biologie, c’est comme si une conférence de physique traitait d’un sujet comme « La création de l’univers, une nouvelle théorie entre Einstein et la Sainte Bible »… De quoi jeter de l’huile sur le feu, même si les détails de l’annonce essayaient plutôt de jeter de l’eau sur les braises : « dans une ambiance scientifique, rigoureuse et objective, aconfessionnelle, apolitique & asyndicale », « Tout le monde est libre de venir, du moment que chacun est prêt à respecter l’autre dans son opinion, et à l’écouter. » Voilà bien des façons de présenter une conférence. « Ce soir, grand match de foot : s’il-vous-plait, respectez l’arbitre et les joueurs, et ne vous habillez pas aux couleurs de votre équipe. » Alors, quelle est cette théorie du programmisme capable de déchainer les passions ?

Pour comprendre ce qu’est le programmisme, il faut déjà comprendre le créationnisme. Le créationnisme est une théorie biologique qui s’appuie sur la Bible. Selon les tenants de cette théorie, la plupart à la foi inébranlable, elle s’appuie sur plusieurs constats. Tour d’abord, la vie sur Terre suit exactement la Genèse comme elle est narrée dans la Bible. En conséquence, Dieu a crée toutes les espèces en même temps : il n’existe donc aucune filiation entre elles, et ce temps correspond, d’après leur calcul, à la création de la terre. Selon les créationnistes, la terre a été créée il y a 4000 ans. Au-delà de cette considération, les créationnistes s’affèrent plus à démontrer que le darwinisme est un tissu de mensonges et d’erreurs qu’à démontrer scientifiquement que leur théorie est puissante. Ils pointent ainsi le fait que la sélection naturelle, au lieu de créer de la diversité l’élimine au contraire, que les grands principes géologique sont erronés (continuité, superposition,…) et que les fossiles n’ont jamais été en vie ou sont des traces du Déluge, etc. En somme, la vie (et la diversité de ses formes) est un processus si complexe qu’elle ne peut être qu’une œuvre élaborée d’après un plan et engendrée par le Créateur : « Dieu » suivant les créationnistes, un « être supérieur » d’après les thèses du dessein intelligent (intelligent design), penchant simplifié et dissimulé du créationnisme. A l’écoute de la conférence dont il est question, le programmisme est donc une théorie qui cache son nom, tout ce qu’il y a d’équivalent à l’intelligent design. Toute sa théorie du programmisme (ou intelligent design comme vous préférez) repose sur ce qu’il appelle « l’effet Mozart » qui se résume ainsi : « Personne ne connait personnellement Mozart, mais tout le monde connait son œuvre. » Pourtant, à la question : « alors, qui a fait tout ça ? », le professeur reste évasif, voire sans réponse.

Il apparait au fur et à mesure de sa conférence que ce professeur n’a sans doute jamais lu de textes évolutionnistes même si, a-t-il rétorqué à cette remarque, il a travaillé au Musée de l’Homme à Paris. Il devait alors se sentir bien seul. Si il affirme que évolution n’est qu’une théorie, pas un fait, alors le programmisme n’est pas une théorie, mais juste un alignement de faits. En effet, Sa présentation n’était qu’une suite d’exemple à valeur d’argument, sans démonstration, sans expérience et faux.

« On a jamais vu d’espèce évoluer. » A cela, Guillaume Lecointre rétorque : « plus personne aujourd’hui n’a vu la bataille d’Austerlitz. Pourtant, ce que nous savons de cette bataille tient à des restes, vestiges et documents écrits que nous devons articuler entre eux pour les comprendre. C’est la mise en cohérence maximale de faits isolés qui permet de penser cette bataille en tant que trame interprétative générale. Pourtant, personne n’irait remettre en cause la crédibilité de cet événement sous prétexte que plus personne n’y était. » De plus, la création d’espèce par hybridation ou mutation a déjà été constaté en laboratoire et in situ.

« L’évolution n’explique pas l’apparition de la vie. » Des modèles darwiniens expliquent parfaitement comment les briques élémentaires de la vie ont pu s’auto-assembler et faire apparaitre les propriétés émergentes de la vie.

« Les évolutionnistes ne peuvent pas montrer des formes de transition. » Faux, l’arbre de la vie est de moins en moins incomplet et des formes de transitions trouvées dans les archives fossiles complètent jour après jour le puzzle des espèces, dans lequel les formes s’emboitent les unes dans les autres : transitions reptiles/mammifères, transitions vie aquatique/vie terrestre, etc.

Mais l’un des arguments le plus récurrents dans les brillantes démonstrations des thèses du créationnisme purement biblique, de l’intelligent design camouflé ou encore du fils caché, l’avorton programmiste, est sans doute l’indiscutable : « La nanotechnologie de l’oreille n’a pas pu apparaitre par hasard. » En effet, le crédo des créationnistes, devant l’ingénierie déployée devant la création d’organes complexes tels que l’œil ou l’oreille interne, est le rejet absolu du hasard dans l’évolution, phénomène qui ne peut en aucun cas expliquer toute la complexité des organes cités. Non, la sélection naturelle aveugle et les mutations aléatoires ne peuvent pas expliquer que des organes aussi évolués. Évolués dans le sens de « élaborés ». En effet, lancer des lettres de scrabble en l’air n’a jamais écrit un poème. Dieu a créé toutes les espèces vivantes lors de la Création telles que nous les connaissons aujourd’hui. La preuve : d’un coté, l’ingénierie optique de précision pour l’œil, tout d’abord, avec la cornée pour capter et focaliser la lumière, l’iris, une lentille et la pupille qui n’est d’autre qu’un diaphragme et le cristallin, une autre lentille. De l’autre, l’improbable ingéniosité de l’oreille interne, en particulier la transmission parfaite de l’onde sonore, transmise mécaniquement par le système marteau-enclume-étrier, de manière ondulatoire dans un milieu liquide grâce aux cellules ciliées de la cochlée, puis électriquement dans un nerf.

Ainsi, à la question « comment un organe aussi complexe que l’œil ou l’oreille peut-il exister ? », les créationnistes répondent : l’œil ou l’oreille interne sont des organes extrêmement perfectionnés. Il existe une telle dépendance des différentes pièces qui le composent qu’on est en droit de se demander comment un organe primitif a pu subir des petites modifications tout en restant fonctionnel pour en arriver à cette merveille de technologie. Les mutations aléatoires sont tellement rares – d’autant qu’elles ne sont quasiment jamais positives, que l’information contenue dans ces organes, les plans d’organisation et de construction précèdent l’organe ou l’espèce et proviennent d’une « être supérieur ». Les chercheurs attendent toujours de le rencontrer pour lui décerner le prix Nobel, même s’il n’a qu’une publication majeure à son actif.

Pourtant, ce constat, les créationnistes ne sont pas les seuls à l’avoir fait, et ce n’est pas dans la Bible que ces propos ont également été tenus, ni dans un article d’une revue douteusement scientifique. Ce discours, on peut le retrouver dans les lignes écorchées d’un des livres les plus mystiques et philosophiques qui soit, un livre dont chacun des mots est une douloureuse interrogation sur la vie : La faim du tigre. Ce livre sort en 1966, dans lequel René Barjavel, auteur français de science-fiction écoule toutes ses interrogations sur la vie et la Création. La complexité fait justement partie de ces interrogations qu’il mène, ces interrogations qu’on croirait être adressées aux étoiles tellement l’auteur use de métaphysique à chacune de ses lignes dans lesquelles il se demande comment de telles structures ont pu émerger :

« L’oreille ne s’est pas faite par l’invraisemblable hasard de millions de mutations favorables. L’oreille est un ensemble conçu, architecturé, organisé. Le hasard ne conçoit pas, n’ajuste pas, n’organise pas. Le hasard ne fait que de la bouillie. »

Le raisonnement de Barjavel dans ce livre fait vraiment échos au discours créationniste. En partant de son étonnement sur l’incroyable ingénierie de l’oreille, qui n’a pourtant été créé dans aucune usine, Barjavel glisse vers une approche « fantastique » de la vie.

Barjavel était-il pour autant créationniste ? Ce genre de phrase qui constelle sa partie sur la complexité de l’oreille pourrait faire penser que Barjavel appartenait à ce mouvement philosophique. Mais le fait que ces propos se retrouvent à la fois dans le discours des scientifiques qui trouvent des preuves irréfutables dans un livre sacré et à la fois dans les lignes d’un penseur infatigable ne le prouve pas. Car Barjavel n’impose ses idées, il les pose. Il lance ses mots pour l’aider à comprendre la vie, c’est tout. Mais au fond, ces pensées ne sont-elles pas celles que tout esprit se pose à un moment ou à un autre dans sa vie ? En cela, le créationnisme relève plus d’une théorie philosophique que d’une logique pour la biologie comme l’est le darwinisme. Et Barjavel en est bien la preuve : l’auteur ne se place pas sur un piédestal pour arrangeur la foule mais bien seul sur une colline pour interroger le ciel sur le sens de la vie.

Citoyens, soyez vigilant sur les discours pseudo-scientifiques, intuitifs, dogmatiques, irrationnels. Les théories créationnistes, initialement reprises par les fondamentalistes chrétiens et depuis quelques temps musulmans, ne servent finalement qu’à asseoir et à conforter des thèses religieuses. Ces personnes se posant la plupart du temps en victime dénoncent les vérités vraies imposées dans les universités françaises. A la manière de Barjavel, le principe même de la science n’est pas de trouver la vérité, mais de la chercher.