ichard-Emmanuel Eastes donne des cours à l’ENS en Vulgarisation Scientifique (pour faire simple) et propose une pédagogie active autour des questiosn de vulgarisation d’une part avec des cours / débats, d’autre part avec cette liste de diffusion.
Sur youTube, on peut trouver un petit extrait de la fameuse émission « Qui veut gagner des millions ? » qui pose la question « Qu’est ce qui gravite autour de la terre ? ». Le choix du candidat peut se faire sur chacune de ces quatre réponses : La Lune, la Terre, Mars ou Vénus. Comme le candidat est perturbé, il demande l’avis du public qui répond à peu près à égalité « Le Soleil » et « La Lune ». Le malheureux candidat choisit Le Soleil : c’était la Lune.
Richard-Emmanuel, voulant profiter d’un débat à fins de vulgarisations, fait profiter ce lien à la liste. Aux premières réactions très dures envers le public, le candidat, dont les réactions montrent un besoin pressant de vulgarisation, se substitue au fur et à mesure un débat plus intéressant sur le fait de savoir si, effectivement, ces deux réponses sont recevables ou non. Le relativisme prend le pas sur l’absolue certitude.
Le débat prend forme doucement et présente plusieurs orientations que j’aimerais vous narrer ici, d’autant plus que j’y ai participé dans une faible mesure.
Tout d’abord, est-ce que le public a besoin, suite à sa réponse, d’un apprentissage approfondi sur la mécanique céleste ? La réponse semble être oui, bien sur !! En première analyse, et selon la perception habituelle des choses, c’est la lune qui gravite autour de la terre (et c’est la terre qui gravite autour du soleil). Donc, oui, ces gens sont bien des ignorants, et la première des choses à faire est de les aider dans une ignorance qui ne leur permet par de percevoir correctement le monde qui les entoure. Mais, rapidement, quelques voix font entendre un bémol quand ce n’est pas un complet désagrément quant à cette réponse. En quoi une personne évaluée, lors d’un jeu stressant, sur des questions portant sur la mécanique céleste, serait-il si bête de se tromper, ou même de ne pas répondre correctement ? Sur quoi le public est-il partagé ? Savoir si la Terre ou la Lune tourne autour de la Terre, ou le Soleil ? C’est un verbe qui n’est plus si clair que ça, le verbe graviter, qui est utilisé !!! Peut-on avoir un point de vue si tranché sur la question ?
Ensuite, la deuxième approche consiste à dire : Est-ce que oui ou non la terre tourne autour du soleil ? Et son corollaire, qu’est ce qui tourne autour de quoi ? Dès qu’on creuse un peu la question du public qui n’est pas si bête, c’est la question du relativisme qui prend le relais. Puisqu’on pourrait dire l’un ou l’autre, alors l’un ou l’autre sont ils également vrais ? Et le débat fait rage. Pour les « contre », il n’y a pas de centre dans l’univers. Selon Einstein, on peut choisir n’importe quel référenciel. L’intuition fait alors dire que la Terre tourne autour du soleil ou que le soleil tourne autour du soleil de façon indifférente. Dans la question, on oublie deux choses :
la lune qui est aussi dans les quatre propositions, et qu’on peut mettre en corrélation avec le soleil dans le référenciel terre
que signifie donc le mot graviter ?
Pour les « pour », on peut choisir son référentiel, donc choisissons le plus intuitif : l’héliocentrique. Il y a une raison simple à cela : il est pratique (toutes les planètes, Mars, etc… et la Terre sont équivalentes) et il est plus juste. Mais concernant cette dernière remarque, on rentre dans un savoir de spécialistes et il nous faut quelque chose de plus facile à faire rentrer dans un langage vernaculaire.
Remarquons que la tendance relativiste des « contre », souvent (sinon systématiquement) non-spécialistes, fut contrée par les « pour » à l’aide d’arguments variés, ce qui montre, s’il en était besoin, que le débat permet de faire avancer les idées. Par contre, le débat a amené une réponse en demi-teintes : la valeur de réalité scientifique s’est trouvée effacée dans ce débat : nous ne savons pas qui tourne autour de quoi, mais nous savons ce qui est plus pratique, pour expliquer, pour raconter, et finalement pour discuter.
Une troisième tendance a tenté d’analyser les rapports du concurrent avec l’évaluation. Une personne a en effet rappelé que ses étudiants, face à des questions stressantes, répond parfois à coté. C’est une question qui n’a pas été débattue plus en détail, peut être parce que
la réponse vient finalement du public, et pas du concurrent
le dispositif de « Qui veut gagner des Millions ? » n’est pas équivalent à un dispositif d’examen.
Ces réflexions sont sûrement justes, et il est dommage que ce cas particulier n’ait pas permis de discuter de cet aspect. En effet, il n’est pas faux de dire que les sciences telles qu’elles sont enseignées gardent en permanence dans la psyché de chacun un cadre d’évaluation tel que toute question scientifique est ressentie comme stressante. Si je raconte une expérience scientifique, tout se passe comme si la personne à qui je raconte ça devra être évaluée dans son futur. Cette perception induit deux choses :
la mémoire fonctionne moins
l’écoute (et la compréhension) fonctionnent moins bien
Au final, le débat d’est plus possible. Or, dans le point précédent, c’est précisément notre débat qui nous a permis d’avancer. Donc, oui, le cadre évaluateur à un effet sur la gravité.
Une des questions que nous n’avons pas posé, c’est la définition même du verbe « graviter ». Est-ce exactement le même que le mot « tourner » ? Non, il y a de subtiles différences. Mais le rédacteur choisit bien son verbe, et en fait, c’est sur le sens de graviter que porte partiellement la question.
Ce débat m’amène maintenant sur des terrains plus personnels. Manifestement, la question de la vulgarisation se superpose souvent à celle de de l’éducation scientifique. Sans se poser la question de l’effet de la vulgarisation sur le savoir des masses, on ne peut répondre que partiellement à la question posée : le concurrent a t’il raison ou bien tort ? Mis dans une situation d’évaluation si typique à la science, devant forcément répondre juste (car, en sciences, tout ce qui n’est pas juste est faux), le pauvre en oublie jusqu’à une compréhension, sinon logique, mais tout au moins réfléchie de la question. En se positionnant, presque par réflexe, dans une situation dans laquelle c’est la science qui a raison, et pas lui, il oublie qu’il peut avoir une réflexion similaire à celle que nous avons eu
1.le statut de la lune n’est pas celui du soleil
2.d’autres planètes existent dans le système solaire et ont le même rapport que le soleil avec la terre
3.il y a un piège derrière le mot graviter (flou sémantique)
4.Donc, c’est bien de la lune dont il s’agit.
Et il n’y a rien de scientifique là dedans !!! Tout au plus un peu d’inférence.
Probablement, la vulgarisation pourrait changer de camp. En passant d’un mode pédagogique dont on ne connaît que trop les travers, et surtout les parallèles idéologiques (http://master-cs.u-strasbg.fr/spip.php?article241), il serait temps de passer du coté du « Public Understanding of Science », dans lequel tout individu, savant ou ignorant, est invité à participer aux débats dans lesquels des questions de sciences sont posées.