PREMIER ROMAN
Editions Grasset, 2008
Voici un premier roman tout en sensibilité, savamment composé, sur la mémoire et l'oubli. Lorsque j'ai lu ce titre, je n'ai pu m'empêcher de le rapprocher du
Secret de Philippe Grinbert. L'intrigue est bien sûr très différente mais il y a également cette réflexion les secrets familiaux oubliés qui ressurgissent par hasard, les secrets liés à
la Shoah et à la Seconde Guerre Mondiale.
Le roman fait alterner trois voix, à trois époques différentes.
De nos jours, Trévor, vieux célibataire, semble être en fantôme sans attache. Il erre dans son appartement cossu de Paris ; rien ne semble l'émouvoir, le toucher. Ses parents viennent de
mourir, mais il ne sait rien de ses grands-parents. Un être sans attache, sans passé, sans origine...Un jour, il reçoit une mystérieuse enveloppe mais tarde à l'ouvrir...Nous ne saurons qu'à la
fin ce qu'elle contient...
Roman à énigmes donc...Une autre voix, Simon, prend la parole après la Guerre en 1948. "Le vieux juif de Chambord" l'invite dans le château pour lui parler de son père Isaac.
Enfin, entre les portraits de Trevor et la voix de Simon, le récit racontant la vie d'Isaac dans le réseau de résistance de Chambord...
Petit à petit, les trois histoires entrent en écho et le lecteur comprend peu à peu les liens qui unissent Trevor, Isaac et Simon...
Au centre de ce beau roman, une ode à la mémoire familiale, bien sûr, une réflexion profonde sur l'importance du nom qui crée l'identité (Trevor ne comprend pas pourquoi il porte un nom
américain), sur la transmission familiale (l'importance de "souche"Si Trevor est un être fantomatique, insensible, c'est parce qu'il y a des zones d'ombre dans son passé familial, il y a un
"trou" qui le perturbe et l'empêche d'éprouver le monde.
Il y a aussi une magnifique réflexion sur la mémoire culturelle. Ici, pas d'évocation des fours crématoires mais comme dans Fahrenheit 451, des livres qu'on brûle, des écrivains sans
livre et pour sauver la mémoire, des oeuvres d'art comme La Joconde ou La Vénus de Milo que l'on transporte du Louvre à Chambord pour sauver le patrimoine de l'humanité. Les graffitis
sont une ode à la culture littéraire et artistique ; ils font référence aux centaines d'inscriptions qui sont gravés sur les murs de Chambord. Magnifique passage où le réseau de Chambord inscrit
au burin des extraits de textes littéraires ou philosophiques pour que rien ne s'oublie ....
Le tout transmis sans une écriture très sensible, sans pathos, sans fioritures. Les phrases sont courtes, très rythmées.
Olivia Elkaïm convoque tous les sens ; les personnages sont souvent par exemple associés à des parfums, à la texture d'un vêtement ...Les objets, la nature est décrite avec
précision, mais fugitivement, afin de créer l'atmosphère requise...
Un jeune écrivain à suivre ...
"Nous étions pitoyables, vraiment, dans notre tentative vaine et folle, de vouloir sauver la littérature, la philosophie, les idées. Parfois, nous imaginions le
pire, un monde sans plus rien de ce que nous avions connu, sans plus rien de ce que nous avions aimé, plus rien de ce que nous avions lu ou appris. Nous étions pitoyables. Avec un couteau, un
burin, nous gravions les phrases qui nous avaient marquées, afin qu'elles restent quelque part, dans la pierre, sauvegardées pour l'éternité"