C'est avec stupéfaction qu'en
sortant de la projection d'entre les murs on se souvient que le jury de Cannes lui a offert, à l'unanimité, une palme d'or.
Non pas que ce film soit dépourvu de qualités, dont l'essentielle est la façon dont Cantet a réussi à filmer en accéléré cette année scolaire d'une classe de collège, entre les murs de sa salle
de classe, de la cour de récréation et de deux autres salles qui constituent l'horizon étroit où se meuvent élèves et professeur...
Professeur au singulier étant donné que François Bégaudeau, auteur du roman éponyme, joue son propre rôle et que son horizon est autant étriqué que le titre l'indique.
Mais disons-le, et ceci est aussi un appel à témoins : on a le plus grand mal pour qui, comme l'auteur de ces lignes, travaille dans l'éducation, à croire à la véracité de ce que l'on nous montre
là.
Le discrédit jeté sur ce film d'un point de vue "technique" peut paraître surprenant puisqu'aucun acteur n'est professionnel, puisque ce sont des profs qui jouent les profs...
Mais voilà ce qui est du jamais vu pour nous : une élève s'adresse à son professeur principal au terme d'une année scolaire en lui déclarant qu'elle n'y a rien appris, et celui-ci est incapable
de lui répondre, comme si il ne la connaissait pas.
Des délégués élèves en conseil de classe qui chahutent et s'esclaffent sans que quiconque autour de la table n'ose, et particulièrement pas le chef d'établissement, les remettre à leur
place.
Ou encore un conseil de discipline se tenant en présence d'une famille non-francophone sans que quiconque semble s'être préoccupé à l'avance de trouver une solution pour la traduction, le même
conseil de discipline ayant parmi ses membres un professeur directement impliqué dans l'incident qui a suscité sa convocation, ce qui est tout à fait illégal... Ca fait beaucoup!
Curieusement, alors que paraît-il le livre de Bégaudeau dépeint un professeur qui s'estime supérieur à ses collègues sur la gestion pédagogique de sa classe, le film en fait une charge
véritablement accablante, à nos yeux, celui d'un homme incapable d'autorité au sens normal du terme, c'est-à-dire d'être respecté par ses élèves car ne se situant pas à la place qui devrait être
la sienne. Une charge véritablement accablante, à nos yeux, contre un homme qui passe son temps à essayer de ne pas utiliser de sanctions, les écartant par principe comme anti-pédagogiques.
Mais - sans décider si c'est volontaire ou pas - le film trace au moins en creux la raison de ce qui ressemble à un échec. Et cela renvoie à une problématique qui nous est familière ici : celle
de la déperdition de l'autorité. Résumons-le d'un trait, et tant pis si c'est caricatural : c'est l'individualisation de tous les rapports sociaux, réfractée au sein de l'établissement
scolaire.
Ici, pas de syndicat à l'horizon (mais pourquoi donc le SNES, syndicat majoritaire des collèges, organise-t-il des projections-débats autour de ce film partout en France?).
Un refus affirmé du travail en équipe. La solitude naturelle du professeur devant ses élèves est en quelque sorte exacerbée, et même revendiquée, sans qu'aucune réflexion collective ne semble
exister, alors qu'un problème avec une classe rejaillit nécessairement sur toute l'équipe pédagogique, nolens volens.
Et la gestion de la classe est elle-même comme atomisée, fragmentée : dès lors qu'un gamin s'exprime, sur des sujets étrangers au cours s'entend, le professeur entame une sorte de dialogue avec
lui qui entraîne forcément l'éparpillement, la gestion d'une collection d'individus et non celle du collectif.
En ce sens, entre les murs est dans l'air du temps, quoique, on y reviendra sur ce blog, les temps soient appelés à changer.
A nos yeux ce film, ou plutôt ce semi documentaire, souligne que c'est l'individualisme qui a marqué nos deux dernières décennies qui implique la déperdition de l'autorité, ou, pour paraphraser
l'excellent livre du défunt Gérard Mendel sur l'histoire de l'autorité, la pénétration dans toutes les sphères sociales des rappors capitalistes sans contrepoids.
Et le résultat n'est pas beau à voir.
Mais si ce film/documentaire interroge, il ne donne qu'à voir, pas tellement à penser - superficiel comme l'est à l'évidence la pensée de Bégaudeau, ce qui nous ramène à notre interrogation
initiale : mais pourquoi lui donner la palme d'or? Une hypothèse : c'est pour ne pas couronner systématiquement les frères Dardenne!