Madame Baruk se tourne principalement vers les professeurs de mathématiques en questionnant leur enseignement depuis près de 30 ans. Sa notoriété dépasse largement le cadre de l'Education Nationale puisque ses ouvrages rencontrent un succès certain, auprès du grand public, avec une vente moyenne de 50 000 exemplaires par titre.
Crédit photo : Les films du Losange
Le Monde publie un article intitulé "Stella Baruk, le goût des maths, une affaire de langue", que je vous engage à lire, du moins tant qu'il sera en ligne, et c'est à cette occasion que je rédige cette note.
Ceux qui possèdent quelques bases et/ou des souvenirs en mathématiques, savent Ô combien il est important de faire la distinction entre une valeur exacte et une valeur approchée. Ils peuvent ainsi sentir toute la subtilité du titre de cette note, avec l'utilisation des termes " à peu près " et " environ ", qui ici comme en mathématiques ne pourront se concevoir qu'avec les restrictions d'usage. " A peu près " et " environ " sont mathématiquement synonymes pour dire que la seule information qu'ils contiennent c'est qu'ils n'en contiennent pas. Tant que l'on ne donne pas la précision avec laquelle on travaille, utiliser " à peu près" ou "environ" , équivaut à parler pour ne rien dire. Si l'exactitude est atteinte , elle ne le sera que fortuitement.
Et c'est le sens que j'ai voulu donner à ce titre ( et à cette note), j'en suis très satisfait!
Quel est le cheval de bataille de Mme Baruk? Il s’agit du langage.
De celui même que je viens d'utiliser pour exprimer de la façon la plus précise possible, l'idée de l'imprécision. Pour Stella Baruk, les mathématiques s'enseignent au travers du langage qui fait sens et de l'erreur permise, elle n'a donc pas un mais deux chevaux de bataille. Expliquer le sens des mots utilisés et faire du cours de maths un moment de plaisir, voilà qui ne peut que susciter l'adhésion du plus grand nombre et sans doute faire progresser les élèves les plus réfractaires. C'est dans ce sens que je dirai que Stella Baruk a raison, et cela d'autant plus lorsque ce discours était tenu au moment où l'enseignement des mathématiques avait sans doute atteint son plus fort niveau d'abstraction. Parler du contenu étymologique ou du sens de telle ou telle notion, n'était pas une évidence dans l’enseignement des mathématiques. C'était aussi l'occasion de s'interroger sur des mots comme "sommet", qui ne sous-entend pas forcément le fait d'être en haut en mathématiques, l'utilisation des mots "carré" et du "cube" et leur origine. L'une des notions les plus difficiles à saisir est la distinction de sens entre le "si" conditionnel et le "si" de l'implication logique qui a donné le début du titre d'un de ses livres : " Si 7=0. Quelles mathématiques pour quelle école?". Ces difficultés et confusions devant le langage usuel et expert se rencontrent à tous les stades de l'enseignement des mathématiques. On peut y adjoindre la distinction entre le "ou" et le "et" qui semble pourtant si évidente mais qui ne l'est plus lorsque qu'on projette ces termes dans un environnement plus abstrait. Il y a aussi la distinction entre le "ou inclusif" ( qui accepte le "et" ) et le "ou exclusif" qui est un " soit… soit…". C'est généralement le premier qu'on utilise en mathématiques, alors que le sens que beaucoup lui attribuent est plutôt donné par le langage courant et correspondrait au " soit… soit…". Effectivement lorsqu'on dit il va pleuvoir ou faire beau, ou bien, il est noir ou blanc, il semble évident que ce dont on parle ne peut avoir simultanément les deux propriétés. Or en mathématiques, ce "ou" là ne nous est que de peu d'utilité. Nous venons de voir en passant un autre mot difficile à saisir. Il s’agit de "simultané", dont le sens vire souvent vers celui de son petit copain "successif".
Alors certainement, Stella Baruk a raison, le langage est vraiment fondamental. Le sens des mots, des concepts enseignés doit faire partie intégrante de l'enseignement des mathématiques.
Jacques Moisan, Inspecteur Général de mathématiques, rappelle dans cet article:
"Mme Baruk, dit-il, a eu le mérite, dès les années 1970, à une époque où effectivement, dans l'enseignement des maths, on cherchait plus un formatage qu'une formation de l'esprit, d'appeler à redonner du sens. Elle a été pionnière, et ses vues sont prises en compte depuis une quinzaine d'années par les cadres de l'Education nationale.Mais la difficulté, c'est la mise en application. Au primaire, il y a un problème de formation des enseignants qui dans leur grande majorité n'ont pas fait d'études scientifiques approfondies. Au collège, un souci lié à l'hétérogénéité des publics. Malheureusement, le réflexe des professeurs, face à des élèves en difficulté est de travailler sur la technique plus que sur le sens."
Faut-il donc s'étonner de la situation suivante si les élèves ne maîtrisent pas le sens de ce qu'ils apprennent? Au primaire, posez ce problème. Dans une classe, il y a 4 rangées de 7 tables. Quel est l'âge de la maîtresse? "Pour les trois quarts des enfants, elle a 28 ans, assure Stella Baruk. Quand je le racontais aux enseignants, ils me disaient tous : Pas mon fils! , puis revenaient quelques jours plus tard m'avouer que oui, leur fils aussi…"
Je répondrai "oui" de façon naïve ", il faut s’en étonner, mais mon expérience personnelle me laisse penser qu'il y aura indépendamment de la méthode utilisée et des explications données en un temps limité pour le faire, de telles situations qui ne sont pas à exclure et qui grossissent le pourcentage de ceux qui ne répondent pas à l'attendu. On pourrait penser que seuls les élèves les plus en difficultés y sont confrontés, mais justement c'est une erreur. Un élève en difficulté, dans sa volonté de bien faire, peut forcer la réponse, et donc répondre quelque chose plutôt que rien. C’est d'ailleurs ce que souhaite paradoxalement Mme Baruk lorsqu'elle demande que le droit à l'erreur soit accordé.
En quoi répondre quelque chose plutôt que rien, est-il aberrant?
La mauvaise réponse ne peut être utilisée pour justifier deux situations contraires, d’une part la faire apparaître comme un symptome de dysfonctionnement mathématique et d’autre part la solliciter pour permettre de s’appuyer dessus, celle-ci ayant une valeur implicite de question. Ce qui est cependant plus étonnant, c'est que des élèves reconnus par l'institution scolaire comme étant bons élèves, produisent aussi un tel type de réponses. C'est ainsi que j'ai déjà vu passer bon nombre d'ermites perchés sur une montagne de plusieurs centaines de kilomètres ou de seulement quelques millimètres de haut, ou bien même d'une hauteur négative ce qui les placerait sous l'eau. Notre ermite a sûrement dû utiliser son baromètre comme tuba! C'est aussi sans compter les avions qui volent à des millions de kilomètres par heure, les bijoux qui pèsent des centaines de kilos et bien d'autres réponses toutes plus caricaturales les unes que les autres et que seules des questions d'un exercice de maths peuvent donner l'occasion de dévoiler au grand jour. J'ai eu aussi une drôle de surprise en posant à des quatrièmes, un problème sur le rangement d'un atelier, qui s’avérait être pour beaucoup d’entre eux, plus long à ranger à deux que tout seul! Voyez par vous-mêmes ici. Nombre des auteurs de ces perles sont aujourd'hui médecin ou ingénieur, mais c'est promis je ne donnerai pas les noms!
Je dirai donc que Mme Baruk a en fait " à peu près " raison. Si l'explication précise des mots, des concepts, du sens des opérations demandées est incontournable, il faut aussi se rendre à l'évidence les mathématiques sont difficiles à apprendre pour beaucoup d'élèves malgré les précautions qui sont prises. Elles se placent sur plusieurs champs bien distincts du sens et de la réflexion, de la technique et de la mémorisation. Elles demandent un processus de réflexion dynamique et rapide que les élèves sont parfois capables de produire alors que d'autres fois ils le négligent, produisant ainsi, l'erreur aberrante qu'ils n'auraient pas avancé dans des circonstances plus encadrées.
Ce qui me préoccupe le plus dans cette histoire n'est pas tant que les élèves produisent des boulettes aussi grosses qu'eux, c'est qu'en mathématiques elles prennent tout de suite une dimension disproportionnée.
Depuis ces quelques années d'enseignement, malgré le fait que je me sois trouvé devant des élèves en grandes difficultés mathématiques, je pense qu'on porte les problèmes de façon un peu trop passionnelle et que l'on devrait distinguer les faiblesses d'un système à aider les enfants en très grande difficulté ( sociale et scolaire ) avec la difficulté d'apprendre et de comprendre une discipline comme toute autre, à condition que le degré d'exigence soit optimisé pour une classe d’âge donné, ce qui est globalement le cas en période de massification de l’enseignement.
Un collègue d'histoire-géographie m'a dit un jour, qu'un de ces élèves avait cité son nom à la place de celui du général de Gaulle pour répondre à la question "Quel est l'auteur de ce texte?". Il s'agissait bien évidemment de l'appel du 18 juin. Est-ce suffisant pour remettre en cause la totalité de la pédagogie dans cette discipline et en faire un drame national ? Les grands quotidiens s’offusquent-ils lorsqu’apprendre l’abstraction d’une guerre mondiale est très difficile pour des élèves de collège dont les références culturelles sont à des années lumière de ce sujet? Jette-t-on systématiquement la responsabilité sur les méthodes pédagogiques en histoire-géographie lorsque certains élèves de 15 ans peinent à associer le nom et le portait de Napoléon, Vercingétorix et De Gaulle ?
Depuis beaucoup trop d'années, on agite de façon presque systématique une sorte d'élixir de réussite devant l'élève mathématiquement malade. L'hôpital Education Nationale disposerait de certains médecins ultra-qualifiés mais reclus dans des laboratoires expérimentaux trop petits pour faire bénéficier de leur savoir la totalité de la population, alors que pendant ce temps des cliniques privées de cours particuliers permettraient une remise à niveau plus sûre et plus rapide, en contrepartie de quelques écus. Je voulais dire euros, nous sommes effectivement au XXIème siècle et non au moyen-âge.
Mais pourquoi plus en mathématiques que dans les autres disciplines? Peut-être parce que justement dans une autre discipline, une réponse aberrante n’est pas assortie d’une remise en cause presque totale de la façon de l'enseigner, quoique le français y ait aussi droit. Alors pourquoi ces discours sont-ils toujours relayés par des journalistes, auréolés de la pseudo-mission de faire apparaître la Vérité cachée au grand jour. Celle d'une horrible discipline s'adressant à une jeunesse, originellement prète à la recevoir, si d'étranges interférences qu’il faut éliminer, ne venaient perturber la douceur de ce champ de savoir rayonnant. Peut-on encore croire à une telle vision des choses? Naïvement je dirai que oui ! Le sujet semble d'autant plus médiatique qu'il est récurrent et est à peu de choses près, toujours abordé sous cet angle, ce qui est pour le moins symptomatique d'un travail journalistique plus souvent mené à charge qu'à décharge.
On sera donc surpris de trouver dans cet article, un avis partiellement contradictoire, avec la voix de Pascale Pombourc, Présidente de l'Association des Professeurs de Mathématiques de rétorquer : "On a pris conscience de ce qu'elle disait mais elle n'est pas venue voir qu'on avait bougé! Son discours est caricatural… même si je ne nie pas qu'au primaire, les choses dépendent de la formation des professeurs des écoles. On n'enseigne bien que ce qu'on maîtrise…" Mais c'est sans compter une reprise en main immédiate, dont le vocabulaire utilisé ne laisse planer aucun doute sur le ton global apocalyptico-politique donné au sujet: A l'heure venue d'un premier "testament" pédagogique, Stella Baruk lance un énième appel au ministre de l'éducation, Xavier Darcos en l'occurrence, "pour une école première" en mathématiques qui faciliterait la tâche, actuellement impossible, des professeurs de collège.
Alors que Madame Baruk ait "à peu près" raison ou "environ" tort ? Est-ce bien la question, lorsque le message à faire passer est préalable au contenu de l’article ?
Pouvons nous attendre d'autres analyses dans les pages d’un quotidien national dont le nom rappelle l’universalité, tout comme les principes mathématiques?
C’est à croire que les maths sont dans le domaine journalistique ce que l’on appelle dans le domaine mathématique, un cas particulier. C’est même un cas d’école !
On ne prend pas soin de vérifier les hypothèses du problème, on saute des étapes entières de raisonnement, on oublie d’expliquer, de détailler, on va droit au résultat sans précaution, on tente de démontrer par l’exemple, on sort une propriété de son cadre d’application pour l’utiliser là où ça nous arrange, on part de la conclusion, etc…
Il ne me semble pas qu’il y ait un professeur de mathématiques en France ni dans le monde qui ne ce soit pas battu avec des générations entières pour que de telles choses se reproduisent le moins possible chez leurs élèves. Mais on voit qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que, une fois l’âge de l’apprentissage passé, les adultes ( même qualifiés) ne retombent pas dans ces mêmes travers pour aboutir à des conclusions hasardeuses et pré-choisies. Alors, avant de se lancer dans des explications boiteuses, les adultes-journalistes devraient peut-être ressortir leurs vieux cours de maths et se poser la question de savoir si leurs lacunes tiennent plus de la méthode d’enseignement ou à leur incapacité à l’assimiler, ce que laisserait croire, jusqu’à maintenant, bon nombre d’articles que j’ai lu sur le sujet.
Pourquoi les mathématiques n'auraient-elles pas droit au doux statut médiatique de "discipline comme une autre"?
posté le 06 janvier à 21:21
Merci pour ces explications; tout devient clair.