Le dernier des classiques

Le dernier numéro du Magazine littéraire consacre son dossier au "dernier des classiques", le très discret Julien Gracq, "pléiadisé" de son vivant, retiré depuis 1992 dans la demeure familiale de Saint-Florent-le-Vieil. Depuis cette date, marquée par la publication de ses Carnets du grand chemin, il a en effet cessé de publier, même s'il ne cesse d'écrire dans ses carnets, de cette écriture fragmentaire qu'il a adoptée au début des années soixante-dix, en délaissant la forme romanesque.
A l'occasion de ce dossier, le Magazine littéraire nous offre un entretien exclusif avec l'auteur, exclusif car le premier depuis six ans, mais surtout car les entretiens qu'a accordés Julien Gracq se comptent sur les doigts d'une main.
Julien Gracq, c'est avant tout un style charnu et arborescent, célébration de la jouissance du mot juste et de la langue française, dans sa plus implacable rigueur syntaxique. Un charme bien plus précieux que l'aspect désuet que ses détracteurs ont pu lui reprocher à la parution de ses premiers romans, qui ne cédaient en rien aux appels fallacieux des sirènes du modernisme. Un charme intemporel, oui, à la fois classique et moderne.
Gracq, c'est aussi La littérature à l'estomac, charge pamphlétaire contre le milieu littéraire, le prix Goncourt qu'il a refusé en 1951 pour Le Rivage des Syrtes, par principe et selon la haute idée qu'il a de la littérature, une droiture constante dans son refus des lois du marché et de la médiatisation qui régissent désormais l'édition.
Et surtout, derrière l'image erronée d'un auteur "né déjà classique", la persistance d'un regard moderne, passé maître dans une "littérature de perception", pour reprendre l'expression qu'Enrique Vila-Matas emploie dans le très bel article qu'il a signé à propos du Rivage des Syrtes. C'est pourquoi en cette première décennie du XXIème siècle, l'œuvre de Julien Gracq nous parle plus que jamais.
Saluons donc ce dossier-hommage, qui ne se départit cependant en aucune façon des qualités critiques et analytiques qui font toute la pertinence des dossiers du Magazine littéraire.