Toujours dans le numéro de juin du Magazine littéraire, une enquête pertinente et bien documentée sur le mal de notre époque : Les jeunes lisent-ils encore ? Où l'on apprend que "45 % des garçons et 21 % des filles entre 15 et 20 ans déclarent ne pas avoir lu un seul livre durant l'année".
La désaffection de la lecture commence dès la deuxième année du collège et s'installe durablement au cours de l'adolescence. Plusieurs causes sont invoquées : la concurrence que subit le livre de la part de la télé, la musique, les jeux vidéo, et plus généralement tous les médias numériques, Internet en première ligne ; l'incapacité de l'enseignement, mais aussi des parents, à transmettre le plaisir de la lecture ; la dévalorisation du langage comme simple vecteur de réussite sociale.
Mais tout n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Ainsi, le sociologue Bruno Latour a crû bon de citer le philosophe Peter Sloterdijk au cours du colloque sur l'avenir du livre à Sciences Po Paris en février dernier : "tout l'humanisme occidental consiste à avoir des adultes qui voudraient que leurs enfants lisent en silence sous une lampe. Et dès que les enfants commencent à s'agiter autrement, à sortir, à éteindre la lampe et à bouger, les humanistes de la civilisation occidentale tremblent". Ainsi, les jeunes ne liraient pas moins mais autre chose que leurs aînés.
En fait, le phénomène observé de perte de vitesse de la pratique quotidienne de la lecture n'est que le corollaire d'une mutation plus profonde de la société occidentale, à savoir l'introduction dans toutes les sphères de la vie du règne sans partage de l'information, par essence volatile, au détriment du livre, réceptacle pérenne de sens. Alors que celui-ci demande de la part de chacun de ralentir le temps d'une lecture le rythme frénétique de la vie occidentale, celle-là est ingérée en permanence et sans interruption, de manière dramatiquement passive.
Il serait peut-être temps de militer en faveur du silence et de la lenteur, en un mot du recueillement, unique attitude salvatrice en ces temps agités.