Depuis la parution dans Le Monde le 16 mars dernier du manifeste de la "littérature-monde" en français, ce phénomène rencontre ses premiers échos, notamment à la faveur du festival Etonnants-Voyageurs, qui s'est ouvert à Saint-Malo samedi dernier et qui se clôt aujourd'hui même.
Ainsi, Alain Finkielkraut intitula l'émission Répliques de samedi dernier "Littérature-monde et francophonie" et débattit - afin de mieux comprendre les enjeux d'une telle littérature - avec d'une part Michel Le Bris, dirigeant justement le festival Etonnants-Voyageurs ainsi que le livre collectif Pour une littérature-monde qui paraît en mai chez Gallimard, et d'autre part Jean-Marie Borzeix qui a publié Les Carnets d'un francophone aux éditions Bleu Autour. Tous deux défendent la vision d'une langue française comme expression de la pluralité de la francophonie, mais là où Michel Le Bris ne voie dans la francophonie qu'une vieille chimère issue de l'époque coloniale, utopie mort-née étouffée par la condescendance du milieu intellectuel français, Jean-Marie Borzeix milite pour qu'on lui donne encore ses chances, vu qu'elle n'a que cinquante ans d'existence.
Cette rencontre a soulevé plusieurs points d'importance. Tout d'abord, il apparaît que Michel Le Bris conserve encore de la littérature française contemporaine (qui est actuellement "moribonde" et que la littérature-monde est censée revitaliser) l'image crépusculaire d'une littérature effritée par le structuralisme omnipotent des années soixante, stérile et abstraite. Tel n'est plus le cas, et Jean-Marie Borzeix a bien fait de le lui faire remarquer.
De même sa critique du milieu littéraire français qui ne traiterait pas d'égal à égal les auteurs issus de la francophonie. Là encore, il a été bon de rappeler qu'un auteur francophone a beaucoup plus de chances de se faire publier (grâce à la résonance des festivals, des prix et autres bourses consacrés au rayonnement des littératures francophones) qu'un auteur provincial.
Enfin, Alain Finkielkraut interrogea les liens qui unissent une langue et une nation. En effet, l'intention des signataires du manifeste de briser ces liens a buté contre sa vision d'une littérature verticale, héritière d'une tradition et de classiques, et qui s'inscrit dans une histoire et une hiérarchie de valeurs. La langue, l'un des fondements essentiels de l'identité d'un peuple, est ici le point d'achoppement de deux visions : celle d'une littérature verticale, soucieuse donc de promouvoir la nécessaire filiation qui donne un sens à toute littérature, et celle d'une littérature horizontale, réceptacle et caisse de résonance de la pluralité des voix qui animent une langue de par le monde.
Deux conceptions de la littérature, chacune avec ses attraits. Là où Alain Finkielkraut s'inquiète - à juste titre - du divorce, non pas de la langue avec la nation, mais de la nation avec la langue, d'autres inquiétudes lui répondent : si nation et langue sont unies par un pacte identitaire, que reste-t-il en termes de reconnaissance à l'étranger qui s'exprime dans la langue de la nation dont il ne fait partie ?
La juste mesure préconiserait une littérature en diagonale, concept encore plus fumeux que celui de la littérature-monde. Quoi qu'il en soit, je vous recommande d'écouter sur Internet cette émission, cela sera plus édifiant que ce compte-rendu forcément partiel.