Clichés I. Rambaud
Avec ses piquants multiples, ce fruit doit avoir en lui de quoi susciter querelles et disputes.
Voilà qu'au creux du chemin de "la gorge aux bois feuillés", autant vous dire un endroit coupé du monde, roussi par l'automne, pierreux et où seules les fougères et les bruyères font décor sous les futaies, bref un lieu de silences et de terre, voilà que la Querelle commence, digne de celle des Anciens et des modernes, des Lettres et du Droit, des rebelles et des bien-pensants...
Celle des Châtaignes et des Marrons ! Et après tout, le lieu est bien choisi car Roland à Roncevaux n'a pas dû être plus seul pour sonner du cor.
A ma droite, les Châtaignes, par trois avec leur forme un peu pointue, dans leur bogue aux piquants souples, à ma gauche les Marrons qui prennent tout l'espace. Tous deux ont pourtant la même origine.
Simplement, lorsqu'elle est cloisonnée par une peau brunâtre, amère (le tan), on a affaire à une châtaigne. Dans le cas du marron, il n'y a aucune séparation, la coque renferme un fruit d'un seul "bloc". Voilà pour la nature.
Mais attention les Marrons ont des homonymes, non comestibles ceux là, qui s'écrasent dans les cours de récréation où ils font de la purée blanche : les marrons "d'Inde" ! Et c'est d'eux que viennent le doute et le trouble.
Ce troisième marron, euh, pardon, larron, met la zizanie entre les châtaignes et les marrons comestibles.
Facile à reconnaître, les châtaignes sont de la forêt, les marrons (d'Inde) de la ville et des parcs. et puis leur bogue n'est pas la même, avec de courts piquots pour les marrons d'Inde.
Mais alors, pourquoi parle-t-on de crème de marrons, de purée de marrons et de marrons glacés mais de farine de châtaignes et de châtaignes grillées ??? Chacun y va de son avis.
La Querelle peut reprendre... jusqu'à la dégustation du soir, avec la poêle à trous où les châtaignes incisées vont éclater en faisant des étincelles.
Après, on relira les Vies Minuscules (Pierre Michon) qui évoquent le rival littéraire, le marron d'Inde, ramassé dans la cour par un petit persécuté : "l'impénétrable écorce brune une fois encore l'étonnait, le volume lisse et sans faille le comblait et, tendu vers cette plénitude, douloureusement, il s'y perdait. Ainsi était toute chose ; opaque, sur elle-même refermée, soumise à des causes massives ou illisibles : le vent aveugle étreint avec passion les feuillages, arrache des bogues et les jetant, les brise, les dénude, les met au monde, le marron sans yeux court un peu sous les vôtres, s'arrête."
Dans tous les cas, la Langue française est bien savoureuse !Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !