L’âge de toutes les vulnérabilités
La loi sur la récidive des mineurs contredit la convention internationale des droits de l’enfant.
Par Jacques Hintzy, président d’Unicef France.
http://www.liberation.fr/ : mercredi 18 juillet 2007
Le gouvernement entend soumettre au vote du Parlement son projet de loi sur la récidive des mineurs. Le changement qu’il introduit pourrait, sans mauvais jeu de mots, sembler mineur : le
texte ne concerne «que» les jeunes âgés de 16 à 18 ans, lors de la deuxième récidive, c’est-à-dire à la troisième infraction jugée, auteurs de crimes d’atteintes volontaires aux personnes, de
délits avec violence et d’agressions sexuelles.
Soit, tout au plus, quelques centaines de jeunes. Mais, si «les carences de la justice des mineurs, comme le rappelait anonymement un procureur (dans le Monde du 3 juin),
qui met un temps indéfini à prononcer des condamnations, différeront l’effet de cette loi, d’ici quelques années, elle fera passer le nombre des mineurs détenus de 700 aujourd’hui à 3 000 à
4 000».
Si le projet est voté, «l’excuse atténuante de minorité» qui, depuis l’ordonnance de 1945, régit la justice des mineurs, deviendra l’exception : le juge devra motiver sa décision s’il
décide d’appliquer cette excuse de minorité. La règle devient l’exception. Puisqu’il laisse la possibilité au juge d’invoquer l’excuse de minorité, le texte n’est pas contraire à la
Constitution, et les lois Perben, votées entre 2002 et 2004, ont déjà largement tracé la voie d’une approche plus répressive de la justice des mineurs.
Certes, mais il est contraire à l’esprit de la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide), et donc aux engagements internationaux que la France a pris en ratifiant ce texte en
1990. La Cide est le texte le plus unanimement ratifié. Dans ses 54 articles, elle énonce les droits qui doivent s’appliquer à l’enfant au nom de son «intérêt supérieur». La Cide voit dans
l’enfant non seulement un adulte en devenir mais un acteur de la société, aussi vulnérable que vital. Il a des droits pour le protéger, parce qu’il est vulnérable, et pour lui donner la parole,
parce qu’il ne l’a pas naturellement dans le débat public. Elle commence par fixer à 18 ans la frontière de l’âge adulte.
Grâce à cette définition internationale, l’Unicef arrache de l’horreur des enfants soldats, des enfants prostitués, exploités dans les pires formes de travail, et réduit le nombre des mariages
précoces. Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’Unicef France appelle donc à respecter cette «frontière» des 18 ans et à favoriser une approche éducative pour les enfants concernés.
En juin 2004, le comité des droits de l’enfant des Nations unies, chargé d’examiner la bonne application en France de la convention, écrivait : «L’évolution récente de la législation
française favorise la répression au détriment des mesures éducatives. La France doit ne considérer la détention des mineurs que comme une solution d’ultime recours et pour la durée la plus
brève possible.» La majorité des jeunes incarcérés le sont dans des quartiers spécialisés de maisons d’arrêt. Tous les rapports décrivent les conditions d’incarcération comme mauvaises ;
soumis au régime des prévenus, les mineurs ne bénéficient pas des mêmes droits qu’un condamné (notamment sur les visites) ; la perméabilité entre adultes et mineurs dans les prisons expose ces
derniers à d’évidents dangers, surtout dans le contexte actuel de surpopulation carcérale. L’incarcération des mineurs se traduit par un temps perdu. De l’avis des professionnels, ce sont des
temps morts, sans aucun intérêt éducatif.
Quant aux centres éducatifs fermés, on peut au mieux dire qu’ils sont trop récents pour que l’on puisse correctement en évaluer l’efficacité. En septembre 2006, pour répondre au projet de
loi sur la prévention de la délinquance, la défenseure des enfants, Dominique Versini, rappelait cette primauté à accorder aux mesures éducatives, «en vue d’assurer aux enfants un
traitement conforme à leur bien-être et proportionné à leur situation et à l’infraction» . Le Conseil d’Etat a pour sa part invoqué «une réserve d’interprétation», lors de
l’examen de l’avant-projet de loi sur la partie concernant les mineurs.
Des pays qui, comme les Etats-Unis, ont de longue date instauré des peines plus lourdes aux mineurs, sont en train de tirer un bilan très négatif de ces mesures. Les articles répressifs ne
combleront pas les manques de moyens de la justice des mineurs.
Aucune décision personnalisée, aucun suivi individuel n’est possible avec les moyens actuels de la justice des mineurs. Alors que la politique de l’adolescence ne joue pas le rôle de prévention
qui pourrait être le sien, ces mesures, qui visent un petit nombre de mineurs, n’auront que peu d’effets pour faire reculer l’insécurité. L’immense majorité des jeunes, 13 à 14 millions,
rappelle l’ex-défenseure des enfants Claire Brisset, traversent l’adolescence sans encombre.
Mais, pour les autres, «on ne se donne pas les moyens de repérer la souffrance précoce afin d’éviter qu’elle ne débouche sur la délinquance. La souffrance psychique des jeunes n’est que
partiellement prise en compte par la société». La souffrance de certains jeunes, en France, est pourtant patente. L’actualité récente nous rappelle que l’on compte 40 000 tentatives de
suicide par an chez les 15-24 ans. Françoise Dolto estimait que l’adolescence était «l’âge de toutes les vulnérabilités».
La jeunesse dans notre pays a besoin de vrais soutiens, non de se sentir représentée comme une classe dangereuse. L’Unicef appelle donc de ses vœux une réflexion des élus
et du gouvernement sur une politique de l’adolescence permettant de lutter contre le suicide, le décrochage scolaire, la consommation d’alcool et de drogues, et les autres comportements à
risques qui est la meilleure prévention de la délinquance des mineurs. Car ce n’est pas en faisant reculer les droits des enfants que l’on fera reculer le crime.