Il y a quelques temps Thom relevait assez justement quelques fâcheux préjugés musicaux. Non les écrivains
septuagénaires ne pondent pas des chefs d’œuvres en série, seraient-ils incontinents, et non un rockeur n’est pas fini à plus de 30 ans.
J’ai eu envie de faire pareil pour la « musique du monde », pas en tant que genre musical (puisque ce n’en est pas un), mais en tant qu’une certaine approche de la musique, une manière d’en
parler avec ses passages obligés, son champs lexical et ses clichés.
Le premier gimmick, c’est l’authenticité. On privilégiera donc le villageois reclus, analphabète, en communion avec les éléments ; une sorte de Bon Sauvage sauce world music. Il faudra souvent
faire comme s’il n’avait pas été affecté par la mondialisation quitte à gommer les sacs plastiques et les Nikes sur les photos. Si sa culture est en voie de disparition, c’est un plus non
négligeable. Les minorités opprimées peuvent également faire l’affaire. L’artiste peut alors être élevé à peu de frais au rang de porte-parole.
Le vieillard-à-la-sagesse-ancestrale est particulièrement côté. Pour le look, on privilégiera la barbe Père Fouras assortie de rides profondes, avec si possible un sourire édenté. Le vieux se
doit d’être humble, vénérable, débordant d’humanité. Le chaman et le conteur sont en option. Rien de tel s’il est le dernier représentant de sa musique, délaissée par les jeunes qui préfèrent les
lumières futiles de la modernité. On pourra le qualifier à loisirs de légende vivante locale, c'est très vendeur et de toute façon, personne ne pourra vous contredire.
Le métissage est une autre voie assez fertile. Bien qu’antithèse de la précédente, on peut
sans trop de mal défendre les deux en même temps. L’idée est de mélanger l’exotique et le familier, histoire de ne pas être trop dépaysé. Le musicien étranger jouera le rôle de la tradition, et
l’occidental du modernisateur. Le journaliste pourra saisir l’occasion de prôner la vibrante réunion des cultures dans un grand geste fraternel de partage et d’amitié. Une autre option, un peu
plus risquée pour la crédibilité mais assez très performante sur l'échelle de l'exotisme est de réunir des musiciens de cultures complètement différentes et les faire jouer ensemble pendant 2-3
jours voir seulement pour un concert. Il ne reste plus qu'à prier pour qu'il en sorte quelque chose.
La dernière tarte à la crème et peut-être la plus récurrente est celle du voyage. Ah la musique qui fait voyager... La musique sera dépaysante, pleine de saveur et de parfums, d’épices et de
femmes aux seins nues. On trouve même pas mal d’albums qui se présentent comme la bande originale d’un voyage. L’idéal est que l’artiste vienne d’un pays aux paysages exotiques, plages et
cocotiers en tête. Pour éviter le syndrome Club-Med, on mettra plus volontiers l’accent sur l’aventure et le réalisme. La musique nous fera donc découvrir une face cachée et inexplorée, au plus
proche du vécu social, pour un voyage plein d’adrénaline et de rebondissements, le tout sans quitter son fauteuil.
Je me moque, je me moque, mais je tombe aussi souvent dans ces clichés et on les retrouve tous à plus ou moins forte dose dans ce blog (en particulier celui du métissage). L’idéal serait de se
débarrasser de cette sorte d’idéologie musicale et d’apprécier la musique seulement pour ce qu’elle est, mais ce n’est pas si facile. On a l’impression qu’on émet des jugements sur la musique
tout seul dans son coin mais en réalité on est énormément influencé par les autres, par leurs goûts et tout simplement par l’imaginaire collectif qui entoure chaque genre.